Grève : quels points communs et quelles différences avec 1995 ?

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Guilhem Dedoyard , modifié à
En 1995, le gouvernement Juppé voulait mettre fin aux régimes spéciaux. Michel Dreyfus, historien des mouvements sociaux et du syndicalisme et directeur de recherche au CNRS, a répondu aux questions de Christophe Hondelatte sur les ressemblances et différences entre le mouvement actuel et celui d'il y a 25 ans.
ON DÉCRYPTE

Le mouvement actuel contre la réforme des retraites semble parti pour durer. Ce n'est pourtant pas la première fois que le gouvernement français entend réformer les régimes spéciaux de retraite. À chaque fois par le passé, comme pour la réforme Juppé de 1995, les dirigeants ont rencontré une forte opposition qui les a contraints à reculer. Michel Dreyfus, historien des mouvements sociaux et du syndicalisme et directeur de recherche au CNRS, est revenu au micro de Christophe Hondelatte sur les similitudes et les différences entre les deux mouvements.

Une trop grande ampleur de la réforme ? 

Pour Michel Dreyfus, "la question des régimes spéciaux est extrêmement sensible et de très longue date, bien avant 1995". "A l'été 1953, le gouvernement a également essayé de mettre fin aux régimes spéciaux, avec une réduction du nombre de fonctionnaires, une réduction de la fonction publique, qui a enclenché un mouvement social extrêmement important qui a forcé le gouvernement à capituler", rappelle l'historien.

C'est d'ailleurs l'une des erreurs commises par les dirigeants, selon Michel Dreyfus :"Faire un ensemble de réforme, ça ne passe pas. Alain Juppé à fait cette erreur en 1995 et je me demande si le gouvernement actuel n'est pas en train de recommencer la même erreur en associant plusieurs problèmes de fond." La réforme actuelle, qui sera présentée mercredi, devrait comprendre en effet un volet sur les régimes spéciaux, mais également sur la durée de cotisation de tous les salariés, qui pourrait partir avec une "décote" en dessous d'un âge pivot.

Un paysage syndical ressemblant... Et différent à la fois

Autre point de ressemblance entre 1995 et aujourd'hui : l'état du paysage syndical. Les syndicats sont affaiblis, en quête de visibilité et de "succès" sociaux. "Dans les années 1990, le mouvement syndical, notamment la CGT et moins la CFDT, sortait d'une crise profonde d'érosion de ses effectifs, environ deux tiers. Il y a une division syndicale de plus en plus poussée. Louis Viannet, secrétaire de la CGT en 1995, déplorait déjà le fait qu'il y ait 'de moins en moins de syndiqués et de plus en plus de syndicats'", analyse Michel Dreyfus.

Ce dernier nuance, toutefois : "En 1995, les syndicats bénéficiaient d'une audience très forte dans le pays. On va bien voir si aujourd'hui cela se maintient, nous n'en sommes qu'au tout début du mouvement."

En outre, le rapport de force a changé. "La CGT n'est plus la première organisation syndicale française, puisqu'elle a été devancée par la CFDT. En 1995 la réforme était soutenue par la CFDT, combattue par la CGT et FO. Actuellement, la CFDT Cheminots est entrée en grève. Aujourd'hui, il y a l'émergence de syndicats comme Sud et l'UNSA" à la SNCF, qui n'existaient pas où étaient embryonnaires à l'époque. En clair, le gouvernement fait face à encore plus de syndicats qu'en 1995, même s'ils ne sont pas d'accord sur tout.

Entendu sur europe1 :
En 1995, les syndicats avaient beau être affaiblis, ils ont organisé le mouvement. Je pense qu'il en sera de même maintenant

Et il faut ajouter encore un autre donnée : les gilets jaunes. "Le mouvement des gilets jaunes est important et inédit par son ampleur et sa durée. Cela n'avait pas du tout eu lieu en 1995. Aujourd'hui, les syndicats ont été devancés dans leurs revendications par les gilets jaunes, qui ont obtenu que le gouvernement débloque 17 milliards, ce qui n'est pas rien. Certains syndicalistes disent que les gilets jaunes ont obtenu ce que les syndicats n'arrivaient pas à obtenir depuis des années". Leur présence dans la mobilisation actuelle pourrait donc changer la donne.

L'historien pense toutefois que ce sont les syndicats qui vont rester à la manœuvre. "En 1995, les syndicats avaient beau être affaiblis, ils ont organisé le mouvement. Je pense qu'il en sera de même maintenant." Le mouvement social actuel est, et devrait demeurer, classique dans sa forme, prédit l'historien.

Le contexte politique aussi est différent 

Outre le contexte syndical, c'est le contexte politique qui a changé. "En 1995, Jacques Chirac venait d'être élu, la réforme Juppé venait quelques mois après l'élection. Ce n'est pas le cas aujourd'hui, on est deux ans et demi après l'élection de Macron, il n'y a plus d'état de grâce", explique l'historien.

Les méthodes des deux gouvernements pour faire passer leur réformes sont également éloignées l'une de l'autre. "En 1995, il y eu un effet de surprise complet. L'une des grandes erreurs d'Alain Juppé, c'est d'avoir élaboré ce plan avec très peu de personnes et d'en avoir très peu discuté. Là, au contraire, on est dans une situation complètement différente. La réforme des retraites, Macron l'avait annoncé dans son programme. Chirac n'avait pas du tout fait campagne sur ce sujet. Aujourd'hui la réforme on en parle depuis plusieurs mois, Jean-Paul Delevoye a fait toute une mission de concertation avec les syndicats", rappelle Michel Dreyfus.

Les processus législatifs aussi, sont différents. En 1995, le gouvernement, nouvellement élu et certain de sa légitimité, engage la responsabilité du gouvernement, alors qu'il dispose d'une majorité. "Ici aussi, Emmanuel Macron a la majorité au parlement, mais on est dans un processus parlementaire classique". Selon lui, les enjeux de la réformes "paraissent de moins en moins clairs au fil du temps. Le gouvernement a brouillé son message, car personne ne sait ce qui va être proposé". Autant de différences avec 1995 qui empêchent, aujourd'hui, de présager de la suite du mouvement actuel.