Le sommet. "L'Allemagne ne décide pas", martelait le candidat socialiste François Hollande, pendant la campagne présidentielle. Mais un an et quelques mois plus tard, beaucoup doutent de cette affirmation, alors que les dirigeants se retrouvent jeudi à Bruxelles pour un sommet européen. Au menu des discussions notamment : le budget européen, et la manière dont il faudra l'orienter pour lutter contre le chômage des jeunes. Et une fois de plus, Angela Merkel pourra s'y rendre avec un sourire de victoire affiché sur ses lèvres.
Un leadership en apparence. Jeudi matin, quelques heures avant le sommet, le chef du parlement européen et la présidence irlandaise de l'Union européenne sont en effet arrivés in extremis à un accord sur ce Budget 2014-2020. Il faut dire que la chancelière allemande avait mis la pression. "Si nous n'arrivons pas à une conclusion (...), le résultat sera que des milliers de personnes perdront leur travail en Europe", avait-elle mis en garde dans la matinée, depuis Berlin. Résultat : un accord a été trouvé, et il intègre la principale priorité allemande : un plan de lutte contre le chômage des jeunes doté de six milliards d'euros.
>>> Pourtant, The Economist titrait encore la semaine dernière "le colosse réticent", épinglant ainsi l'Allemagne pour son manque de leadership. Qu'en est-il ? L'Allemagne dirige-t-elle l'Europe ? Éléments de réponse.
… POURQUOI BERLIN COMPTE :
Parce qu'elle est la "capitale de l'Europe" aux yeux du monde. La Une de The Economist est plutôt intrigante. Car l'Allemagne est loin d'être inactive en Europe. Et l'influent magazine britannique le reconnait lui-même dans un article. "La puissance en Europe s’est déplacée brusquement vers Berlin. Mme Merkel est largement perçue comme le politicien le plus important du continent. À Pékin ou à Washington, la question 'Où va l’Europe ?' est devenue synonyme de 'Que veulent les Allemands ?'", écrit The Economist sans ambiguïté. Et d'insister : "des bureaucrates à Bruxelles parlent tristement du fait que Berlin est en train de devenir capitale de l’Europe", relate le magazine. "Et à juger de la faiblesse de la France, de l’ambivalence de la Grande-Bretagne et les problèmes de la dette d’Europe du sud, pour les prochaines années le futur de l’Europe continuera à être disproportionnellement 'Made in Germany'", renchérit-il encore. "En un mois, Berlin aura été la seule escale européenne des dirigeants des deux premières économies mondiales", remarquait d'ailleurs le Monde le 17 juin dernier. "Pour Washington et Pékin, l'Europe, c'est Berlin", poursuivait encore le quotidien.
Parce que ce que l'Allemagne veut, elle l'obtient. Les institutions européennes n'accordent pas plus de poids à un État qu'à un autre. Mais, par son statut de première puissance économique et donc, de premier contributeur au budget de l'Europe et de tout ses projets, l'Allemagne a la voix qui porte le plus. Et ses exigences sont souvent écoutées. Berlin a voulu imposer la règle d'or budgétaire ? Les Etats de l'Union l'ont adoptée. Elle a voulu exempter ses banques régionales de la future supervision bancaire de la BCE ? Elle a obtenu gain de cause. Elle ne voulait pas d'une fusion d'EADS avec le groupe BAE Systems ? La fusion a échoué. La Cour constitutionnelle allemande doit même décider en juillet si la BCE, censée être indépendante, a le droit ou non de mener une politique de rachat de dette. Une "procédure peu imaginable dans d’autres pays comme la France", commentait Les Echos le 12 juin.
…POURQUOI ELLE MANQUE TOUT DE MÊME DE LEADERSHIP :
Parce qu'elle compte, mais surtout pour elle. Si son statut d'acteur le plus influent de l'Europe est acté, certains voudraient voir l'Allemagne aller plus loin. Sous le titre "Le colosse réticent", The Economist appelle ainsi Berlin à assumer sa responsabilité à l'égard de l'Europe toute entière et à cesser de se voir en "grande Suisse", neutre et prospère, restant seule dans son coin. "Si l'Allemagne se ne remue pas, l'économie du continent, et sa situation politique, vont s'aggraver", poursuivait le magazine. En clair, l'Allemagne s'impose, mais uniquement quand ses intérêts sont en péril. Dans un essai publié en 2011 et relayé par Le Monde la semaine dernière, Hans Kundnani, chercheur à l'European Council on Foreign Relations, décrivait également l'Allemagne comme une "puissance géo-économique", essentiellement mue par "la défense de ses intérêts économiques".
Parce qu'elle fait de nombreuses concessions. Par ailleurs, Berlin n'impose pas tout. Et c'est ce que lui reproche The Economist, qui voudrait une Europe plus libérale. Parfois, les autres pays de l'Union ont le dessus. Opposée à la France sur la place à accorder à l'exception culturelle dans le cadre des accords commerciaux entre l'UE et les Etats-Unis, elle n'empêchera pas la France d'obtenir gain de cause. Opposée à l'idée de taxer l'importation de panneaux solaires chinois, elle n'empêchera pas Bruxelles de créer cette taxe. Opposée à tout contournement de la règle d'or, elle a laissé certains pays, dont la France, la contourner. Et, dernière concession en date, dans la nuit de mercredi à jeudi : l'Allemagne a finalement accepté qu'un État puisse se servir de l'argent public pour sauver une banque, alors qu'elle y était farouchement opposée. "À chaque fois que la zone euro est menacée, l’Allemagne sait qu’elle a beaucoup à perdre. Du coup, elle a dû mettre beaucoup d’eau dans son vin depuis le début de la crise", souligne également Cédric Thellier, économiste chez Natixis cité par La Croix. Et de conclure : "le principe de réalité s’impose aux Allemands".