L’INFO. Bruxelles et Strasbourg. A en croire certains politiques, c’est là que la quasi totalité des lois nationales des Etats-membres se décide. “80% de nos lois ne sont pas votées à Paris, à l'Assemblée nationale, mais viennent de Bruxelles”, lançait ainsi récemment Jean-Marie Le Pen dans une interview donnée au Figaro. Et l'argument n’est d’ailleurs pas uniquement brandi par les eurosceptiques en mal de souveraineté, il est aussi repris par les europhiles, prompts à défendre la puissance du Parlement européen. En 1988, c'est Jacques Delors, alors président de la Commission européenne, qui le premier évoque l'idée d'une législation à 80% dirigée par l'Europe en matière économique à l'horizon de l'an 2000. Mais aujourd’hui, s’il est difficile de faire un décompte précis du nombre de règles françaises issues de l’Union européenne, la plupart des études estiment que cette proportion ne dépasse pas les 20%.
Quelle est la réalité ? Tous les chercheurs qui se sont penchés sur la question assurent que les textes européens ne représentent pas 80% des normes nationales. En 2012, après avoir fait une revue des travaux disponibles dans chacun des pays, Annette Elisabeth Toeller, une spécialiste allemande des politiques publiques, affirme qu’en France, ce pourcentage se trouve entre 3% et 27%.
En 2009, une étude réalisée par Yves Bertoncini pour le think tank EuropaNova précisait même qu’entre 1978 et 2007, les normes européennes ne représentaient qu’un peu moins de 15% des lois votées en France. Pire : pour le spécialiste des questions européennes, elles ne rassemblaient qu’un peu moins de 13% des normes appliquées dans le pays.
Tout dépend des secteurs. Ce constat, bien loin de l’idée reçue d’une Europe toute puissante, s’étoffe lorsque l’on constate que la grande majorité des règles européennes appliquées dans l’Hexagone ne concernent en fait que peu de secteurs. Selon la même étude, au 1er juillet 2008, le secteur de l’agriculture représentait à lui seul 42,6% des règles européennes appliquées en France. Il faut ajouter à cela les environ 20% qui concernent le marché intérieur (politique industrielle, circulation des marchandises, liberté d’établissement, etc.) et les 10% relatifs aux relations extérieures.
A l’inverse, de nombreux secteurs sont complètement inoccupés par les normes européennes. Ainsi, entre 1987 et 2006, pas une seule règle européenne n’a abordé la question de la Culture, quand quasiment 400 ont été rédigées par l’Etat français. Le constat est quasiment similaire en ce qui concerne la Défense, la Justice ou encore l’Education, la Jeunesse et les Sports.
Quantité = qualité ? “Si un tel flou politique et juridique perdure depuis si longtemps s’agissant de l’influence du droit communautaire sur le droit national, c’est aussi parce qu’il est très difficile de la mesurer de manière précise”, reconnaît d’ailleurs Yves Bertoncini, du Think Tank EuropaNova, en introduction de son travail.
Il faut dire que même si 80% des règles françaises étaient d’origines européennes, cela n’enlèverait rien au fait que de nombreux textes sont simplement là pour harmoniser les règles en Europe ou les pratiques en matières d’économie. La simple mise en place du marché commun par la Commission Delors entre 1985 et 1992, par exemple, a imposé à elle seule pas moins de 300 directives aux pays de l’Union. Plus concrètement, ce n'est pas parce qu'il y a beaucoup de textes que ceux-ci dirigent la majorité de la politique appliquée dans les pays de l'Union.
Les Français ont aussi la main. A cela ajoutons que les règles communautaires sont négociées, certes avec les partenaires européens, mais notamment par des Français. La Commission européenne comprend un commissaire français (il y en a un par pays), le conseil des ministres de l’Union européenne rassemble lui aussi chacun des membres des pays concernés. Au Parlement européen, la France a, à elle seule, 74 députés, soit près d’un député sur dix.
La procédure législative européenne donne d’ailleurs la parole à chacun d’eux. La codécision, procédure législative ordinaire, s’applique à quasiment tous les textes, règlements et directives. Émis initialement par la Commission, le projet d’une nouvelle règle est ensuite discuté à plusieurs reprises avec les députés du Parlement et les membres du Conseil de l’Union européenne. Et si aucun accord n’est atteint, le projet peut être tout bonnement abandonné.
Les directives à géométrie variable. Cela dit, lorsqu’ils sont votés, les règlements, qui représentent la majorité des textes, ne sont néanmoins plus discutables au niveau national. Dès leur publication au Journal Officiel de l’Union Européenne, ils sont effectifs dans tous les pays de l’Union.
Pour les directives, la situation est différente. Ces textes un peu particuliers, ne fixent pas nécessairement de nouvelles règles, mais plutôt des objectifs à atteindre dans un temps imparti. Les Etats membres ont ensuite plusieurs années pour mettre en vigueur les conditions de la réussite de ces objectifs. De ce point de vue là, la particularité française est respectée.
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