A chaque jour sa peine : après la journée mondiale de sensibilisation à l’autisme le 2 avril et avant la journée internationale de la sensibilisation au problème des mines le 4 avril, place à la journée mondiale du travail invisible. Le travail invisible ? A priori, on pourrait penser qu’il s’agit du travail non déclaré ou des professions officiellement interdites. Et pourtant, il n’en rien. Explications.
Le travail invisible reste un mystère en France. Cette notion est encore inconnue dans nos contrées : les nombreux économistes contactés par Europe 1 découvraient en même temps cette idée. Et pour cause : le travail invisible est une notion qui vient du Québec, popularisée par l'Association féminine d'éducation et d'action sociale (Afeas). Depuis 2001, cette dernière lui consacre une journée chaque année, un combat devenu national depuis 2010 après avoir été reconnu par les autorités canadiennes.
Qu’est-ce que le travail invisible ? Le terme invisible désigne en fait le travail qui n’est pas officiellement reconnu. Il s’agit plus précisément du "travail que les femmes exécutent au foyer bien sûr, mais aussi dans l'entreprise de leur conjoint", ou encore du "travail non rémunéré, dit invisible, des parents auprès des enfants et des aidantes ou des aidants auprès de leurs proches âgés, en perte d’autonomie, malades ou handicapés", dixit l’Afeas.
En clair, il s’agit du travail qui n’est pas reconnu comme tel et non comptabilisé dans la création de richesses au sein d’un pays. Et les exemples sont nombreux : femme d’agriculteur travaillant dans l’exploitation sans avoir un statut précis, enfant de commerçants dépannant leurs parents de temps à autre, personne quittant son emploi pour s’occuper d’un proche malade, etc.
Pourquoi y consacrer une journée ? Parce qu’il ne s’agit pas de cas isolé, du moins au Canada, où plusieurs études sur le sujet ont été menées. Avocate et enseignante, Dominique Barsalou a consacré un livre à la question et estime que le travail invisible concerne 20% des femmes au Québec. Mais les femmes ne sont pas les seules concernées : le travail en famille en fait souvent aussi partie.
Pour les personnes concernées, le combat ne consiste pas seulement à être reconnu symboliquement, il est bien plus concret : ces dernières "subissent ainsi des pertes de revenu, des diminutions ou pertes des prestations d’assurance parentale ou d’assurance-emploi et, par la suite, de leurs régimes de retraite. Et plus encore…", précise l’Afeas sur son site internet. Et cette dernière d’ajouter : "pour les membres de l’Afeas, la reconnaissance sociale est importante, mais elle doit venir avec une reconnaissance économique, soit des mesures financières et fiscales. Il faut aussi des mesures concrètes, intégrées dans une politique de conciliation famille- travail-études, pour les parents, tout comme pour les aidantes et les aidants".
Les compagnes, compagnons et proche progressivement reconnus. Ce combat a porté ses fruits au Canada : en 1980, les femmes travaillant officieusement dans l’entreprise de leur mari étaient reconnues comme collaboratrice et pouvaient revendiquer un salaire et des droits sociaux. Et depuis 1989, en cas de divorce, le conjoint a le droit à une part de la richesse créé par l’entreprise familiale.
En France, la question se pose également puisque "il a fallu attendre la loi d’orientation agricole de 1980 pour que le statut de coexploitante autorise les conjointes d’agriculteurs à accomplir des actes administratifs concernant l’entreprise familiale. (…). La loi d’orientation de 1999, en créant le statut de conjointe collaboratrice, leur donne droit à la retraite proportionnelle", rappelle Céline Bessière dans le n°164 de la revue Informations sociales.
Le travail invisible pèse lourd mais reste problématique. Si individuellement ce travail invisible peut paraître dérisoire aux yeux de certains, mis bout à bout il pèse lourd. Très lourd : "en 1992, Statistique Canada estimait entre 235 et 374 milliards $ (soit entre 171 et 273 milliards d'euros) la valeur annuelle du travail non rémunéré, incluant le bénévolat, soit entre 34,0% et 54,2% du Produit intérieur brut (PIB)", rappelle l’Afeas.
Des chiffres qui donnent le tournis mais doivent être nuancés : d’abord parce la fourchette est trop large pour être statistiquement fiable à 100%. Ensuite parce que ce chiffrage renvoie à la traditionnelle question de la comptabilité nationale : si l’Insee comptabilise le travail d’une femme de ménage comme de la création de richesse, pourquoi ne pas prendre en compte le ménage effectué par soi-même à domicile ? Un débat que les statisticiens n’ont toujours pas tranché et qui en rappelle un autre : faut-il prendre en compte l’argent de la drogue et de la prostitution dans le calcul du PIB ?