"L’Espagne n’a pas d’accès aux marchés ". C’est le cri d’alarme qu’a lancé mardi le ministre du Budget espagnol, Cristobal Montoro. Selon lui, le pays est dans une situation tellement tendue qu’il ne peut plus emprunter d’argent.
Inquiets quant à la capacité du pays à sauver ses propres banques, les investisseurs réclament en effet plus de 6,4% de taux d’intérêt pour prêter à l’Espagne sur dix ans. Trop cher pour le gouvernement espagnol, dont le Trésor doit pourtant lever 3 milliards d’euros à moyen et long terme jeudi.
"La déclaration de M. Montoro ressemble à un message politique pour inciter l’Europe à agir vite pour aider l’Espagne", commente Jesus Castillo, économiste chez Natixis, interrogé par le Monde.
L’Etat cherche entre 60 et 200 milliards
Le pays doit en effet faire face à la crise abyssale de ses banques, qui ne parviennent pas à se relever de l’effondrement du marché immobilier entamé en 2008.
L’Etat cherche au moins 60 milliards d’euros pour les recapitaliser et les empêcher de faillir. Selon certains économistes, la facture pourrait même s’élever à 200 milliards. Et les marges de manœuvre sont forcément limitées, tant que l’Espagne ne peut pas se refinancer auprès des marchés. Car l’Etat a besoin des marchés pour sauver ses banques. Or les marchés, craignant que l’Etat ne coule, font grimper les taux. CQFD : le cercle vicieux est bouclé.
L’issue est d’autant plus floue que le gouvernement de Mariano Rajoy refuse toute aide extérieur destinée à l’Etat espagnol. Exit donc l’idée d’un prêt de l’Union européenne ou du FMI. "On ne peut techniquement pas faire l'objet d'un plan de sauvetage, en raison de notre taille importante", a prévenu mardi le Premier ministre.
Le pays est en effet la quatrième économie de la zone euro, dont il représente 12% du PIB total, contre seulement 6% pour l'Irlande, le Portugal et la Grèce réunis. Et les plans de sauvetage de ces trois pays avaient déjà coûté respectivement 85 milliards, 78 milliards et 292 milliards d'euros... ce qui laisse augurer d'un coût bien plus élevé pour Madrid.
Vers une union bancaire ?
De plus, l’Espagne refuse d’être sous tutelle d’une autorité extérieure qui lui imposerait d’avantage de mesures d’austérité. "Nous effectuons déjà des économies drastiques et sommes
des modèles en Europe", assure Mariano Rajoy.
Alors que faire ? De nombreuses voix s’élèvent en faveur de la mise en place d’une union bancaire à l’échelle européenne. "L'Europe doit dire où elle va, pour se donner de l'unité, elle doit dire que l'euro est un projet irréversible, qui n'est pas en péril, elle doit soutenir les pays en difficulté, a déclaré mardi Mariano Rajoy. Selon moi, elle a besoin d'une intégration fiscale, avec une autorité budgétaire, et une intégration bancaire, c'est-à-dire une union bancaire avec des eurobonds, un superviseur bancaire et un fonds de garantie des dépôts européen."
La plupart de ces propositions trouvent d’ailleurs des soutiens en Europe, comme en France ou auprès de la Commission européenne. Mais elles se confrontent à l’opposition de l’Allemagne, qui craint de porter sur ses seules épaules les banques et les Etats en difficulté.
De plus, ces propositions nécessiteraient des mois de négociations, pour aboutir à un cadre législatif d’union bancaire européenne. Or la crise espagnole est urgente. "Tout le monde devrait concentrer son énergie sur la crise actuelle", estime ainsi Nicolas Bruegel, du centre de réflexion Bruegel. "Je ne suis pas sûr qu'on puisse s'offrir le luxe de réfléchir à un mécanisme permanent pendant que la maison brûle", fait-il valoir.
Le MES pourrait prêter aux banques
Madrid milite donc également pour que le fonds de secours européen, le futur MES, soit autorisé à recapitaliser directement les banques espagnoles. La France et la Commission européenne ont d’ailleurs fait savoir mardi qu’elles soutenaient cette hypothèse.
Mais cette option implique une réforme du MES et donc une ratification des 17 pays de la zone euro. Et l’Allemagne a là aussi déjà fait savoir sa réticence, craignant de jeter de l’argent dans un panier troué. De plus, les banques en bonne santé, ce qui est le cas de beaucoup d’Allemandes, ne voient pas d’un très bon œil un soutien massif à leurs concurrentes espagnoles.
Selon Daniel Gros, du Centre for European Policy Studies, seule une aggravation spectaculaire de la crise pourrait inciter la chancelière allemande Angela Merkel à changer de cap. "S'il n'y a qu'un processus de crise au ralenti, qui n'affecte pas l'économie allemande de manière visible, elle aura du mal à le faire", estime-t-il. "Il faudrait que ce soit tellement urgent qu'il faille convoquer un sommet de crise des dirigeants européens et qu'elle puisse rentrer chez elle en disant: 'je n'avais pas le choix'."
L’Espagne attend plusieurs résultats d’agences extérieures, et même du FMI, sur l’évaluation du montant exact dont les banques du pays ont besoin. En fonction du résultat, l’Allemagne pourrait juger ou nom si la crise est grave.
L’enjeu est de taille pour l’Espagne, mais aussi pour l’ensemble de l’Europe. Selon l’Autorité bancaire européenne, les banques du vieux continent sont exposées à hauteur de 515 milliards d’euros à la dette espagnole (toutes créances confondues). Les banques allemandes arrivent en tête, avec 146 milliards d’exposition. Les Françaises sont secondes, avec 115 milliards.