Le vendredi 4 mai, peu après 18 heures, le coup est rude pour le groupe Air France-KLM. Jean-Marc Janaillac, PDG de la holding regroupant les compagnies Air France et KLM, mais aussi président d'Air France depuis juillet 2016, jette l'éponge. Il vient d'être désavoué par 55,4% des votants (80,33% des salariés) au référendum sur la proposition d'accord salarial qu’il avait lui-même lancé et qui était jugé imperdable par tous les observateurs du monde aérien. Depuis sa démission, il y a près de trois mois, le groupe et la compagnie française n'ont toujours pas trouvé de patrons autres que ceux nommés pour assurer l'intérim. Une attente qui se prolonge dangereusement alors que certains syndicats menacent déjà de relancer une grève à la rentrée.
Les négociations salariales à l'origine du problème
L'histoire débute bien avant le départ de Jean-Marc Janaillac. Celui qui était notamment connu pour avoir redressé Transdev pouvait se targuer d'avoir quelque peu calmé les esprits dans un groupe où le dialogue social est problématique depuis plusieurs années, mais les syndicats prennent comme un affront la proposition de revalorisation des salaires de 1% de la direction en janvier. Alors que les salaires sont gelés depuis 2011 et que la compagnie réalise de nouveau des bénéfices, les représentants du personnel réclament une augmentation générale de 6%. Faute d'être entendus, et pour la première fois depuis 25 ans, un appel à la grève unitaire concernant toutes les catégories de personnels est lancé. La première journée de mobilisation, le jeudi 22 février, entraîne l'annulation de 50% des vols long-courriers assurés par Air France, du jamais vu depuis plusieurs années.
Durant les semaines qui suivent la grève se poursuit de manière perlée, généralement par épisode de deux jours. Face à la détermination des syndicats et malgré l'appel à la raison lancé par Jean-Marc Janaillac sur Europe 1, ces derniers refusent de signer l'ultime proposition de la direction qui prévoit une augmentation de 7% sur quatre ans. Après neuf jours de grève, la PDG lance un référendum qu'il perdra et entraînera son départ début mai. Mi-mai, Anne-Marie Couderc est nommée présidente non exécutive du groupe pour l'intérim avec à ses côtés Frédéric Gagey, directeur général du groupe, Franck Terner, directeur général d'Air France et Peter Elbers, directeur général de KLM. Problème : le conseil d'administration n'accorde à l'équipe de transition aucun mandat pour négocier avec les salariés leurs augmentations. Ces derniers, d'abord tentés de poursuivre la grève, décident finalement de l'interrompre. Mais pas d'oublier leurs revendications.
Un patron victime de turbulences
Si tous décident de patienter c'est que la nomination d'un nouveau patron pour le groupe et Air France doit intervenir rapidement. Début juillet, promet Anne-Marie Couderc lors d'un comité central d'entreprise mi-juin. Et pour cause, dans le même temps, le comité de nomination, chargé du recrutement du nouveau patron avec l'aide de plusieurs cabinets de chasseurs de têtes, a bien avancé. Il pense avoir trouvé le bon candidat. Le 20 juin, rapporte Le Figaro, il informe l'agence des participations de l'Etat - qui reste l'un des principaux actionnaires d'Air France-KLM - qu'il a un nom à soumettre au vote du conseil d'administration. Le potentiel futur patron qui ne le restera que quelques jours s’appelle Philippe Capron. Âgé de 60 ans, il est directeur financier du groupe Veolia. Deux jours plus tard, le vendredi soir, le nom de Capron fuite dans les médias et provoque un tollé : salariés et syndicats tirent à boulet rouge sur "un nouveau technocrate" et dénonce un "parachutage". Le dimanche, Bruno Le Maire le désavoue publiquement et évoque dans une interview "un candidat parmi d'autres". Le 1er juin, ce dernier retire sa candidature.
Au sein de la direction, l’épisode Capron laisse des traces. Les camarades néerlandais d'Air France n'ont guère apprécié le candidat et commencent à manifester de plus en plus sérieusement leur mécontentement face aux errances de la compagnie française. KLM fait en effet office de bon élève depuis plusieurs années. Là-bas, les grèves sont nettement moins nombreuses et le niveau de rentabilité est bien meilleur, notamment en raison des taxes plus légères en vigueur dans le pays. Delta Airlines, partenaire américain du groupe, et actionnaire à hauteur de 9% dit également son énervement. Résultat : une nouvelle question entre en jeu, celle de la modification du mode de gouvernance. Pourquoi le PDG d'Air France-KLM serait-il aussi le président d'Air France alors que KLM est indépendante ?
Un candidat venu de l'étranger
Fort de ces nouveaux critères le processus de recrutement est relancé en juillet. La direction accepte notamment de chercher un candidat venu de l'étranger et d'augmenter le salaire de la future recrue. Avec 700.000 euros par an, le salaire actuel du PDG d'Air France-KLM est en effet nettement moins élevé que ceux de la concurrence. Il pourrait, avec ce recrutement, monter à 2,5 millions d'euros tandis que son entrée en fonction sera finalement en septembre, a assuré Anne-Marie Couderc dans un mail aux salariés daté du 13 juillet. Le processus de recrutement de la nouvelle direction "devrait être finalisé dans les prochaines semaines" avec une "mise en place effective de la nouvelle gouvernance en septembre" explique-t-elle en précisant "que le processus, très bien avancé à la mi-juin, (a) été ralenti depuis par des perturbations externes regrettables et négatives pour le groupe".
Libération croit savoir que trois candidats sont encore dans la course : un patron étranger, connaisseur du secteur aérien, poussé par Delta Airlines, mais aussi Pascal de Izagure, ancien d'Air France et actuellement PDG de la compagnie Corsair. Enfin, Denis Olivennes, ancien directeur général adjoint d'Air France et qui dirigeaient jusqu'il y a peu la Lagardère Active, la branche média du groupe Lagardère (à qui Europe 1 appartient) serait aussi sur les rangs. Quel que soit le choix fait par le comité d’administration, le nouveau patron du groupe sait déjà qu'il sera bien accueilli : les syndicats d'Air France menacent de "reprendre" leur grève en septembre si aucun accord sur les rémunérations n'est trouvé d'ici la rentrée.