L’initiative a de quoi surprendre. Après les avoir combattus dans les rues et par médias interposés, Uber veut se réconcilier avec les taxis. La compagnie californienne de voitures de tourisme avec chauffeur (VTC) a même lancé une étrange opération séduction en adressant récemment un courrier à des centaines de chauffeurs de taxis pour leur proposer… de rejoindre ses rangs! Une initiative perçue comme une énième provocation par la profession.
"L’équipe d’Uber est à vos cotés". Paris, Bordeaux, Marseille, Lyon, etc. : Uber vise large. Comme près de 80 autres chauffeurs de taxi strasbourgeois, Haïm a ainsi reçu une lettre surréaliste. "Bonjour Haïm", commence la missive personnalisée d’Uber, avant de vanter la puissance de feu de l’entreprise, dont "le chiffre d’affaires (est) le plus élevé du secteur". Un argument censé convaincre les artisans taxi de rejoindre la compagnie de VTC : "l’équipe d’Uber est à vos cotés", poursuit le document, avant de vanter qu’il n’y a chez Uber "aucun engagement, vous roulez quand vous voulez". Et pour les chauffeurs qui seraient tentés par l’aventure, la lettre se termine par toute une série de coordonnées pour contacter l’entreprise américaine.
"C’est du foutage de gueule total". Une telle initiative passe mal parmi des chauffeurs de taxi qui considèrent les VTC comme une concurrence déloyale et voit en Uber le fossoyeur de leur métier. "Pour moi, c’est du foutage de gueule total. Je suis désolé, ce n’est pas possible, c’est de la provocation, de la pure provocation. Le chauffeur de taxi qui reçoit ce genre de courrier... C’est comme si demain tous vos concurrents venaient vous démarcher pour travailler chez eux. Qu’est-ce que vous voulez répondre ?", s’insurge Haïm. Et le chauffeur de taxi strasbourgeois d’ajouter : "Légalement, ça pourrait être possible mais aucun taxi n’accepterait de travailler comme cela dans les conditions d’Uber".
Pourquoi Uber tente-t-il de draguer les taxis ? Pour la seule ville de Strasbourg, près d’un tiers des 286 artisans taxis ont reçu une telle missive. Mais comment Uber a-t-elle pu les identifier ? Tout simplement en consultant une liste publique des artisans taxi titulaires du statut Loti (transporteur public routier collectif de personnes), un agrément spécifique pour faire notamment du transport scolaire.
Un démarchage inédit qui n’a rien à voir avec une tentative de se réconcilier. Si Uber drague les artisans taxis, c’est avant tout parce qu’il a besoin d’eux : l’entreprise est dans une phase active de recrutement après avoir perdu la moitié de ses chauffeurs suite à l’interdiction d’UberPop en juillet dernier. Ce service de VTC proposait aux particuliers de s’improviser chauffeur VTC quelques heures par semaines avec leur propre voiture. Mais il a été interdit par la justice, cette dernière estimant qu’une telle activité nécessitait un minimum de formation, sans oublier qu’UberPop présentait des risques de fraude aux charges sociales. Comme lors de ses précédents passages devant un tribunal, Uber a fait appel et a engagé une longue bataille juridique.
En attendant son procès en appel, Uber a donc perdu une partie de ses "effectifs" – il s’agit d’indépendants et non de salariés – alors même que le marché des VTC ne cesse de se développer. Elle tente donc de recruter des chauffeurs déjà formés et se retrouve à draguer ceux qu’elle combat depuis des mois.