Les chiffres de la croissance ou du chômage sont bien dérisoires face au bilan humain de ces attentats, mais c’est un pays à l’économie déjà grippée que l’organisation Etat islamique a attaqué vendredi lors d’une série d’attentats qui ont fait au moins 129 morts. Ces événements peuvent-ils menacer la difficile reprise de la croissance française ? Peuvent-ils dissuader les étrangers de venir visiter un pays pour lequel le tourisme représente 8% du PIB ? S’il est encore trop tôt pour y répondre, les économistes se posent la question.
Pas de contrecoup immédiat en Bourse. Le cours de la Bourse est un premier indicateur, bien que discutable car très volatil. Or de ce côté-là, les principaux indices européens n’ont pas dévissé suite aux attentats : lundi, le CAC 40 est resté quasi-stable, avant d’augmenter de près de 2% mardi en milieu de journée. Les investisseurs parient donc sur le fait que l’économie française résistera à ce nouveau drame, même s’ils se montrent plus sceptiques à court terme pour certains secteurs : les actions liées au tourisme, au luxe et aux transports ont été les plus malmenées.
Tourisme, restauration et divertissement, secteurs les plus exposés. En effet, ces secteurs sont très dépendants de l’afflux de touristes et les attentats peuvent dissuader certains de venir visiter la France. L’organisation patronale de l'hôtellerie-restauration dans la capitale redoute notamment que certains annulent leur séjour prévu pour les fêtes de la fin d’année : les professionnels du secteur annoncent un taux d’annulation de 50% pour le mois de novembre. Mais du côté des économistes, on considère que cet effet post-attentat ne durera pas plus de quelques semaines. Sans oublier que certains pourraient décider de venir exprès à Paris dans une forme de tourisme militant.
Pour les salles de spectacles, l’impact est en revanche plus important : tous les concerts et spectacles prévus ce week-end et en début de semaine ont été annulés et les mesures de sécurité devraient être renforcées à l’avenir. Ce qui représente un coût non négligeable pour des structures souvent fragiles économiquement. C’est pourquoi la ministre de la Culture a annoncé lundi la création d’un fonds d'aide aux professionnels, censé répondre à "deux problèmes" : celui de "la sécurité immédiate" et celui de "la pérennité de l'activité des petites salles qui ne sont pas forcément assurées pour des annulations".
Deux scénarios pour le reste de l’économie. Les effets sur les autres pans de l’économie sont en revanche incertains. Après les attentats de janvier, certains chefs d'entreprises s'étaient déjà inquiétés d'un risque de ralentissement. Or le premier trimestre a été marqué par une croissance forte (+0,7%), avec une consommation élevée. "Les phénomènes macroéconomiques l'avaient emporté", constate Denis Ferrand, directeur de la conjoncture de l'institut COE-Rexecode, avant d’ajouter : "tout va dépendre de la réaction collective."
Depuis le 11 septembre 2001, plusieurs chercheurs, dont le prix Nobel d'économie Gary Becker, ont travaillé sur les effets économiques des attentats. En dégageant deux types de scénarios : celui du sursaut national, pour faire barrage à la peur, et celui de la psychose, qui gagne les esprits. "Aux Etats-Unis, les attentats du 11 septembre ne se sont pas traduits par un repli de l'activité, car les Américains se sont ressoudés", rappelle Philippe Waechter, avant d’ajouter : "on peut espérer la même chose en France".
La solution passe par le maintien de l’activité. Dans ce contexte, les milieux économiques appellent à faire de même que la société dans son ensemble : ne pas renoncer à son mode de vie et continuer à travailler comme d’habitude. Le mouvement patronal Ethic a ainsi appelé lundi les entreprises "à se battre pour la meilleure cause qui soit : le maintien de l'activité économique, chacun à son niveau". Et le collectif d’inviter les entrepreneurs à "être exemplaire et solidaire en donnant des consignes fermes en matière de délais de paiement, de respect des contrats et d'assouplissement des règles face aux partenaires en difficulté, ainsi que vis-à-vis des salariés les plus exposés (transports, lieux publics...)".
C’est la même raison qui a poussé trois des principales sociétés organisatrices de salons professionnels et grand public à maintenir les salons prévus cette semaine dans la capitale. "Il faut montrer que la vie continue", a ainsi expliqué le porte-parole de l’une de ces sociétés, Viparis. "On a certes eu des coups de fils ce week-end de nos exposants qui se posaient des questions, mais beaucoup nous ont aussi dit ‘vous avez raison (d'ouvrir), on sera là, il faut se serrer les coudes, faire front et ne pas se laisser abattre’", a témoigné Laura Bokobza, directrice marketing et commercial de Reed Expositions France.
Le retour à l’équilibre des Finances publiques repoussées. Le Budget 2016 va en revanche être directement concerné par les attentats. Alors qu’il était déjà bouclé et en cours d’examen par l’Assemblée nationale, ce dernier va être mis à jour pour intégrer l’annonce de 8.500 renforts en faveur des forces de l’ordre, de la justice et des douaniers.
Le coût de ces embauches et de l’achat de matériel n’est pas encore connu, mais il est probable que ces nouvelles dépenses fassent passer dans le rouge un Budget déjà calculé au plus près pour respecter les règles européennes (pour rappel, limiter le déficit public à 3% du PIB). "Ces décisions budgétaires (…) se traduiront par un surcroît de dépenses que j'assume", a prévenu François Hollande.
Un message visiblement bien accueilli à Bruxelles. "Les règles du pacte de stabilité n'empêchent pas les Etats de définir leurs priorités. Nous comprenons ce qu'est la priorité à la sécurité", a réagi mardi Pierre Moscovici, le commissaire européen aux Affaires économiques. "Nous démontrons que le pacte (de stabilité) n'est ni rigide, ni stupide (...) Il est capable de faire face à bien des situations. C'est dans cet esprit que nous discuterons avec le gouvernement français", a-t-il ajouté, avant de conclure : "la Commission européenne a une approche intelligente et humaine de cette situation".