"Nous aussi on veut payer l'ISF", "Très chers bourgeois, désolé de vous déranger, pourrions-nous tou.te.s vivre dignement ?" Les slogans ciblant les classes les plus aisées fleurissent à chaque nouveau week-end de mobilisation des "gilets jaunes", en marge de ceux réclamant une hausse des salaires, une abolition des taxes et, depuis quelques jours, la mise en place du référendum d'initiative citoyenne. Le divorce entre "riches" et "pauvres" semble de plus en plus consommé, mais qui sont vraiment ces riches montrés du doigt par la grogne social ?
Existe-t-il un seuil de richesse ?
Durant la campagne de 2012, François Hollande s'était risqué à un périlleux exercice de définition, avouant qu'il "n'aimait pas les riches" et qu'on l'était, selon lui, à partir de 4.000 euros par mois. L'Insee s'est toujours bien gardé de fixer un seuil, et se contente seulement d'indiquer chaque année un chiffre au-delà duquel se situent les 10% de Français les plus aisés. Pour 2016, - dernière année pour laquelle le calcul a été fait - il était de 2.964 euros par mois. De son côté, l'Observatoire des inégalités va plus loin, estimant qu'un ménage peut être considéré comme riche lorsque ses revenus par tête représentent le double du revenu médian des Français : soit 3.400 euros par mois. Dans les deux cas, qu'il s'agisse de l'Insee ou de l'Observatoire des inégalités, nous sommes donc largement en dessous du seuil fixé par François Hollande. Toutefois, dans un sondage Yougov publié en 2017, 58% des Français estimaient qu'être riche revenait à toucher plus de 5.000 euros par mois. Or, seuls 5% des salariés seraient au-dessus de ce seuil.
Pour l'éditorialiste Pascal Perri, spécialiste des questions d'économie, le seuil fixé par François Hollande était d'abord symbolique, c'est-à-dire, sans être exagérément élevé, symptomatique de l'appauvrissement d'une classe moyenne qui, pendant toutes la seconde moitié du XXème siècle, a alimenté la croissance et le marché intérieur du pays. "La pyramide se serait un peu inversée : la classe moyenne s'est appauvrie […] et les riches, ou une partie des riches, sont devenus beaucoup plus riches. Le cœur de la société française, la classe moyenne, présente aujourd'hui des revenus à moins de 4.000 euros", explique-t-il au micro de Wendy Bouchard dans Le Tour de la question, sur Europe 1.
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Une richesse matérielle, mais pas seulement...
"On ne peut pas faire de définition du seuil de la richesse", balaye de son côté Monique Pinçon-Charlot, sociologue et ancienne directrice de recherche au CNRS, engagée à gauche, et également invitée du Tour de la question. "La grande richesse est tellement dispersée que la richesse de la 500ème fortune du palmarès Challenges est contenue 500 fois dans la fortune de Bernard Arnault [l'homme le plus riche de France, toujours selon le même classement], relève-t-elle. Un écart qui "n'existe pas dans le monde des salaires."
Elle propose donc une définition simple, mais assez large : "les riches sont les propriétaires des moyens de production". La richesse toutefois, ne se limite pas qu'aux biens financiers, pointe cette sociologue. Elle recoupe d'autres éléments qui permettent d'opérer une distinction sociale. "La richesse est aussi culturelle. Le monde des grandes fortunes, c'est le monde des grandes écoles et des collectionneurs d'art", explique-t-elle. Et de relever également une forme de mépris de classe, propre selon elle à la grande bourgeoisie, et dont a pu être taxé le président de la République après certaines déclarations polémiques. "Il y a enfin la richesse symbolique ; cette arrogance, propre au chef de l'Etat aujourd'hui, qui est de faire comprendre que vous n'êtes rien, des petits, des derniers de cordée et que vous n'avez qu'a traverser la rue pour trouver du travail", tacle-t-elle.
Quel rôle dans l’économie du pays ?
Comment servent-ils l’économie de notre pays ? "Pour moi, ce sont les peuples, les ouvriers, les intellectuels qui font fonctionner l'économie réelle. Les riches se contentent de spéculer sur l'argent qu'ils amassent parce qu'ils ne payent pas le travail des travailleurs manuels et des intellectuels à sa juste valeur", répond Monique Pinçon-Charlot.
Moins excluant, Pascal Perri tient à rappeler que 40% de l'impôt sur le revenu est payé par 1% des foyers les plus riches, soit une manne de plus de 30 milliards pour les caisses de l'Etat, sur les 76 milliards que représentent ce prélèvement. "S'il n'y a pas de capital, s'il n'y a pas de propriétaires, de gens qui investissent et prennent des risques, il n'y a pas d'économie et de progrès partagé", ajoute-t-il à propos de la spéculation. "Dans mon esprit, il n'y a pas de rivalité entre le travail et le capital, les deux participent, côte à côte, au process de production de valeur."