De plus en plus d'internautes se convertissent aux blocages de publicités sur internet. En quelques clics, il est possible d'installer un logiciel capable de filtrer une grande partie des annonces sur la toile… privant ainsi certains sites de leur principale source de revenus. Selon des chiffres de l'Union des annonceurs français, relayés par Next impact, entre 15 et 30% des pubs seraient ainsi bloquées sur internet. Mais est-ce vraiment légal ? La justice allemande vient de donner des éléments de réponse, en donnant raison à Adblock Plus, leader dans le blocage de pub, lors de deux procès face à des médias.
Quelle est la décision allemande ? L'entreprise allemande Adblock Plus a remporté mercredi le procès que lui intentaient deux médias Outre-Rhin. Les chaînes de télévision allemandes RTL et ProsiebenSat.1 estimaient qu'Eyeo, filiale d'Adblock Plus, entravait les règles de la concurrence, mettant en danger le modèle économique de financement des sites internet par la publicité. Mais le tribunal de Munich, dans une décision rendue mercredi, a estimé que l'offre et la distribution du logiciel ne constituait "pas un handicap anticoncurrentiel" pour les sociétés plaignantes.
Selon le tribunal, la décision d'installer ou non le logiciel relève des utilisateurs et non de l'entreprise éditrice du logiciel. Adblock n'entraverait pas l'activité des autres sites, ses concurrents donc, puisqu'il laisse libre choix aux internautes de bloquer les pubs, tout comme ils pourraient éteindre leur télé au moment des coupures. La société Eyeo avait déjà remporté fin avril une première victoire judiciaire à Hambourg, face à deux groupes de presse, Zeit Online GmbH et Handelsblatt GmbH. Si ces victoires sont confirmées en appel, cela pourrait bien faire jurisprudence en Allemagne.
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— Coco Info (@Corentin2G) 22 Avril 2015
Quelle est la règle en France? Aujourd'hui, en France, il n'existe pas de loi spécifique pour ce type de logiciels, ni même de jurisprudence (un décision de justice faisant référence). "Ce qui n'est pas réglementé, c'est l'ordinateur des internautes. Rien n'interdit à un particulier de faire ce qu'il veut avec ses pubs", confirme auprès d'Europe 1 Sebastien Proust, avocat spécialisé dans les nouvelles technologies, les médias et les télécommunications au sein du cabinet Herbert Smith Freehills.
Mais cela ne veut pas dire que la question des bloqueurs de pubs n'a jamais été soulevée dans l'Hexagone. En 2013, par exemple, Free et Google avaient entamé des négociations houleuses qui ont bien failli finir en justice. Free proposait en effet une option de blocage de pubs par défaut, ce qui avait irrité Google. Et l'opérateur avait finalement abandonné cette idée, par crainte d'un procès.
"La question fait débat dans certains cercles. Et pour cause : il y a tout de même une réglementation", décrypte Sébastien Proust. "Les éditeurs de ce type de logiciels, que ce soit Free ou Adblock, sont tenus à un devoir de neutralité, ils ne doivent pas discriminer les autres sites. Or, ce n'est pas à eux de décider si la pub est bien ou mal, et si elle justifie de discriminer un site qui en propose", poursuit le spécialiste. "On pourrait, pourquoi pas, attaquer les bloqueurs de pubs pour 'atteinte à l'intégrité d'un site' : lorsqu'on bloque une pub, par exemple, tout le visuel mis en place pour la pub saute, on a souvent une croix à la place. Cela peut être considéré comme du dénigrement, cela dénature l'identité du site", conclut l'avocat.
Que va changer la décision allemande ? D'autant que la décision de justice allemande ne vaut que pour l'Allemagne. Et rien ne dit que la justice française arriverait à la même conclusion si Adblock était attaqué par des médias français. Les bloqueurs de pub et "leurs plaideurs auront maintenant des arguments supplémentaires. Mais rien ne dit que le juge les écoutera", estime ainsi Ronan Hardouin avocat spécialisé en droit des technologies de l’information et de la communication chez Ulys. Quant à savoir s'il faut une loi pour clarifier le caractère illicite du blocage de pub, la question est encore loin d'être tranchée. Le Conseil national du numérique s'est saisi de la question et orchestre de nombreux débats sur le sujet. Reste à savoir si cela aboutira à une recommandation pour le législateur.
Un modèle économique contesté. Le blocage de pub en lui même n'était pas le seul point contesté par les médias allemands. Ces derniers en veulent aussi au modèle économique d'Eyeo, la filiale d'Adblock. Cette dernière propose une offre gratuite de blocage de pubs en fonction de critères spécifiques : si la pub n'est pas trop intrusive par exemple, elle n'est pas bloquée. Et si certains sites veulent contourner ces critères et échapper à la censure de leurs pubs, ils peuvent verser de l'argent à Eyeo. Google, Amazon et Microsoft auraient ainsi déjà signé des contrats pour échapper aux blocages de leurs pubs. "Du racket", selon les médias allemands qui ont saisi la justice. Le tribunal leur a, en première instance, donné tort, estimant que ce n'était pas du "racket". Mais pas sûr que la décision soit la même en appel.