Les grandes manœuvres se poursuivent dans les télécoms. Après la fusion entre Numericable et SFR, c’est au tour d’Orange de vouloir racheter Bouygues Telecom. Les deux opérateurs ont confirmé mardi avoir engagé des "discussions préliminaires" en vue d’un rapprochement. Mais une telle opération est loin d’être acquise tant elle bouleverserait profondément le paysage des télécoms et nécessite l’accord des autorités de la concurrence française et européenne.
C’est officiel, Orange veut avaler Bouygues Telecom. Après avoir martelé que Bouygues Telecom n’était pas à vendre et avoir refusé une offre de 10 milliards d’euros proposées par SFR-Numericable, Martin Bouygues a visiblement changé d’avis. Approché par Orange cette fois-ci, le Pdg du troisième opérateur mobile français a accepté d’écouter la proposition de l’opérateur historique.
Et le dialogue passe bien puisque les deux groupes ont confirmé mardi être en "discussions préliminaires". "Bouygues annonce que des discussions préliminaires ont été engagées avec Orange pour explorer toute éventuelle opportunité. À cet effet, un accord de confidentialité a été signé", précise le communiqué du groupe Bouygues, avant de prévenir : "à ce jour, aucune décision n’a été prise et rien ne garantit l’issue de ces discussions préliminaires".
Un deal à 10 milliards d’euros ? Aucun chiffre officiel ne circule mais la valeur de Bouygues Telecom est estimée à 10 milliards d’euros. Une somme dont Orange ne dispose pas, si bien que l’opérateur historique proposerait une offre à deux étages : 2 milliards d’euros en liquide et 8 milliards d’euros en actions Orange. Résultat, Bouygues Telecom se retrouverait avec environ 15% du capital d’Orange tandis que ce dernier pourrait revendre une partie des infrastructures réseau de Bouygues à Free Telecom pour récupérer de l’argent frais.
Le retour à trois opérateurs, un véritable big bang. Encore faut-il que ce rachat soit validé par les autorités de la concurrence française et européenne. Car une telle opération est tout sauf anecdotique : après le rachat de Bouygues Telecom, Orange passerait de 38,1 à 53,8% de parts de marché.
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Pour éviter un abus de position dominante, le futur groupe pourrait donc revendre une partie des antennes-relais de Bouygues à Free. Mais une telle cession ne règlerait pas tout car, outre la naissance d’un géant, ce rachat signifierait aussi une concurrence moindre. Le marché français repasserait alors de quatre à trois opérateurs, comme c’était le cas avant l’arrivée de Free dans le secteur. Et ce n’est pas rassurant, comme l’a rappelé François Carlier, délégué général de la CLCV (Consommation, logement et cadre de vie).
"Le retour à trois opérateurs rappelle de mauvais souvenirs", souligne-t-il : "ils s’étaient entendus sur les tarifs et ils ont été lourdement condamnés pour entente en 2005. En France, les tarifs de la téléphonie mobile étaient plus élevés que dans les autres pays occidentaux, et notamment européens. L’ouverture à une quatrième licence pour Free a fait baisser considérablement les tarifs : concrètement, les gens payaient dix euros en moins par mois. Pour un ménage qui avait deux abonnements, c’était souvent 500 euros d’économies par an". Un constat que confirme cette courbe des dépenses moyennes par clients réalisé par le gendarme des télécoms, l’Arcep :
Moins de concurrents, c’est donc le risque de voir les tarifs remonter, même si ce ne sera pas automatique. "Je pense que le risque, pendant deux, trois ans, ne va pas trop se manifester parce qu’il y a eu l’entrée de Free, qui a cette réputation de casser les prix et va vouloir y tenir pendant quelque temps. Et l’air de rien, les consommateurs français ont appris à faire jouer la concurrence sur la téléphonie mobile et notamment la capacité à changer d’opérateur pour aller là où c’est moins cher", estime François Carlier, avant de conclure : "il faut garder ce réflexe pour se prémunir d’une hausse tarifaire liée à cette concentration".
De nombreux autres risques. Les employés de deux groupes ne sont pas plus sereins. Du côté de Bouygues Telecom, on redoute surtout des suppressions d’emplois. "On demande des garanties écrites pour les salariés. On espère avoir une réponse claire et précise, de nature à rassurer les salariés, sinon il faut s’attendre à un mouvement social. Et cela peut être une grève puisqu’à un moment, il faut se faire entendre", a prévenu sur Europe 1 Azzam Ahdabun, délégué central CFDT. Les employés Bouygues Telecom ont néanmoins un atout : la pyramide des âges au sein d’Orange va provoquer de nombreux départs au cours des prochaines années. Les employés de Bouygues devraient donc trouver leur place.
Bien qu’en position de force, Orange ne rassure pas non plus ses troupes, cette fois-ci pour d’autres raisons. La CGT Orange redoute notamment de voir Martin Bouygues, PDG du groupe Bouygues, devenir le deuxième actionnaire d’Orange, avec la crainte de le voir imposer des "critères exclusifs de rentabilité financière" au détriment d’une "vision stratégique et industrielle de long terme". "Nous serons vigilants à ce que les impératifs financiers ne l'emportent pas sur tout le reste", a renchéri le syndicat Sud, pour qui "les salariés ne doivent pas être les dindons de ce nouveau Monopoly".