EDF gagne du temps. Le conseil d'administration a certes voté jeudi la fermeture "irréversible et inéluctable" de la centrale nucléaire de Fessenheim. Mais il laisse aussi à l’entreprise la possibilité de repousser la décision à une date ultérieure. Pour que la centrale ferme, EDF doit en effet faire une demande officielle d’abrogation d’exploitation auprès de l’Etat. Le gouvernement actuel souhaitait que cette demande soit immédiate, afin de pouvoir signer le décret avant l’élection présidentielle. Mais le conseil d’administration d’EDF vient de donner à l’électricien la possibilité de faire cette demande jusqu’à "six mois précédant la mise en service de l'EPR de Flamanville", prévue à l'horizon 2019, selon plusieurs sources proches du dossier. Que va-t-il se passer maintenant ? Eléments d’explication.
Une fermeture sous conditions… Le gouvernement avait accordé près de 500 millions d’euros de dédommagement à EDF, pour accompagner la fermeture. Mais une étude commandée par l’électricien au cabinet Secafi a chiffré la perte de recettes entre 1,6 milliard et 6 milliards d’euros (selon l’évolution du prix de l’électricité) d’ici 2040. Le Parlement l’a évaluée, lui, à 4,7 milliards d’euros. Sans demander de nouveaux fonds, EDF aurait tout de même demandé de nouvelles conditions avant de fermer définitivement la centrale, selon plusieurs sources proches du dossier.
Pour comprendre, il faut faire un petit récapitulatif de la loi en vigueur. La loi sur la transition énergétique plafonne les capacités de production nucléaire à leur niveau actuel (63,2 gigawatts). C'est pour rester à ce maximum autorisé qu'EDF avait, dans un premier temps, obtenu que l'arrêt des deux réacteurs de Fessenheim coïncide avec l'entrée en service de l'EPR de Flamanville (Manche), à l'horizon 2019.
Or, selon plusieurs sources, EDF réclame désormais la garantie que la centrale alsacienne ne fermera pas si la capacité de production nucléaire française tombait en dessous du plafond prévu par la loi, par exemple dans le cas d'une indisponibilité prolongée d'un autre réacteur ailleurs en France. Si en 2019, ce plafond n’est pas atteint, EDF pourra s’opposer à la fermeture de Fessenheim.
… Et qui dépendra de la future majorité. Cette décision de l’électricien permet aussi à EDF de gagner du temps. Car en repoussant la décision de la fermeture à une date ultérieure, le conseil d’administration laisse à la direction d’EDF la possibilité de reporter le dossier à après la présidentielle. Or, selon la future majorité, tout peut encore changer. Parmi les candidats à la présidentielle, deux camps se distinguent clairement. Voulant "garder la trajectoire actuelle de la transition énergétique", Emmanuel Macron s'est dit favorable à une fermeture dans les délais fixés par le gouvernement, tout comme Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon. S’ils sont élus, ils devront de nouveau négocier avec EDF, et décider s’ils valident leurs nouvelles conditions.
François Fillon et Marine Le Pen, en revanche, sont favorables à la poursuite de son exploitation. Si ce sont eux qui arrivent au pouvoir, ils peuvent décider d’abroger la loi de transaction énergétique. En revanche, il n’est pas encore certain qu’ils parviennent à abandonner purement et simplement l’arrêt de la centrale. Car en se prononçant pour une fermeture "irréversible et inéluctable"¸ le conseil d’administration d’EDF a envoyé jeudi un message fort. Et les opposants à cette fermeture devront convaincre le conseil d’administration de faire machine arrière, et donc de se désavouer.
La centrale peut-elle fonctionner longtemps sans danger ? Ouverte en 1978, la centrale est la plus ancienne de France. Mais son système de fonctionnement - une technologie à eau pressurisée - est la même que celle utilisée dans les autres centrales de l'Hexagone. EDF a, ces dernières années, investit pas moins de 280 millions d'euros pour moderniser la centrale. L'Autorité de sûreté nucléaire ne voit donc "pas de raison" qu'elle ferme, selon un rapport rendu l'an dernier.
"Fessenheim est tout à fait dans la moyenne de l'appréciation que l'ASN porte sur les centrales nucléaires françaises - c'est-à-dire que c'est globalement satisfaisant". Pour EDF, la centrale peut même encore fonctionner 20 ans. L'ASN, elle, a donné son accord pour 2019 pour l'un des réacteurs et 2022 pour l'autre.