La croissance française fait grise mine et Emmanuel Macron s’en serait bien passé. Alors que le chef de l’État doit négocier une rentrée complexe sur le plan politique – avec la démission de Nicolas Hulot – et économique – la mise en place du prélèvement à la source et le budget annuel suscitent des inquiétudes –, l’Insee a confirmé mercredi que la croissance du PIB n’atteindrait pas les 2% espérés en 2018. La baisse de la consommation et les effets de la grève à la SNCF forcent le gouvernement à ajuster ses ambitions.
La faute de Trump et du pétrole
Alors que l’année 2017 s’était conclue sur une croissance de 2,2%, du jamais-vu depuis 2007, avec un rythme trimestriel de 0,7%, la cadence a sérieusement décéléré ces derniers mois. Les deux premiers trimestres 2018 ont connu chacun une croissance de 0,2%, un rythme qui rend définitivement hors d'atteinte les 2% de croissance initialement prévus par le gouvernement en 2018. "D’autant plus que, si on regarde plus près, l’Insee arrondit. Ce n’est pas exactement 0,2% deux fois mais 0,15% et 0,16%", précise Éric Heyer, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), pour Europe 1. "Donc sur un semestre, on est plutôt sur 0,3% de croissance que 0,4%. Ce n’est pas la même chose !"
Comment expliquer cette décélération spectaculaire ? Il y a d’abord un facteur externe. "En 2018, la croissance mondiale était dynamique et équilibrée. Même des pays comme la Russie et le Brésil étaient sortis de la récession", rappelle Éric Heyer. Cette année, le contexte international s’est dégradé, notamment à cause de la guerre commerciale impulsée par Donald Trump. "En plus, le prix du baril de pétrole a fortement augmenté. Un choc qui pèse, en bout de chaîne, sur le portefeuille des ménages et les charges des entreprises", note Éric Heyer.
La grève SNCF a pesé
D’une année sur l’autre, la situation de la France a également évolué. "En 2017, on a ressenti, à retardement, les effets de la politique d’offre mise en place par François Hollande. Le CICE et la prime à l’embauche ont produit leur effet et porté la croissance", explique l’économiste de l’OFCE. Sur les six premiers mois de 2018, cet effet s’est dilué, freiné par la "pression fiscale" sur les ménages, ajoute Éric Heyer. Surtout, les grèves ont ralenti la consommation des ménages et des entreprises. L’Insee a observé, au second trimestre, une baisse de la consommation de 0,3% pour les biens et 0,1% pour les services.
" Avec 0,3% de croissance sur un semestre, c’est tout impossible quel e chômage baisse "
Dans le secteur des transports, la baisse de la consommation atteint même 2,7%, "principalement dans le transport ferroviaire", conséquence de la grève SNCF. "La SNCF a un impact sur la croissance par des effets indirects : difficultés d'approvisionnement des entreprises, difficultés prolongées pour les salariés d'accéder à leur lieu de travail, etc.", rappelait en juin le ministre de l'Économie Bruno Le Maire, au Sénat. La grève du fret a notamment impacté fortement le transport des matières premières et des marchandises. Le tourisme a aussi souffert, certains usagers préférant reporter leurs vacances ou leur week-end pour ne pas être bloqués par la grève.
Un risque pour le budget
Résultat : l’Insee prévoit désormais 1,7% de croissance pour l'ensemble de l'année. Au-delà des chiffres, ce ralentissement a des conséquences très concrètes pour le gouvernement. Dans son projet de loi de finances, voté en décembre, Bercy avait prévu 1,7% de croissance pour 2018. Mais ce chiffre avait été relevé à 2% dans le cadre du programme de stabilité envoyé fin avril à Bruxelles, considéré comme la dernière prévision officielle du gouvernement. "Dans l’immédiat, les finances publiques ne sont pas en danger. La France était légèrement en avance sur ses objectifs et dispose donc d’une peu de marge avant d’être forcée de corriger le tir", relativise Éric Heyer.
Reste que cette situation complique l'équation budgétaire de Bercy, qui devrait compter avec des recettes fiscales moins élevées qu'attendu en 2018 et en 2019, et donc avec un déficit plus important. Concernant 2018, "il n'y aura pas 2,3% de déficit", a reconnu lundi Bruno Le Maire, évoquant le chiffre de 2,6%. Concernant 2019, la cible de 2,4% devrait là aussi être abandonnée. "Notre objectif est de tenir l'objectif des 3%", a-t-il assuré. "Pour l’instant, il n’y a pas d’alerte. Mais si la croissance reste faible, on risque de flirter avec les 3%, et le gouvernement pourrait être obligé d’opter pour un budget plus austère", analyse Éric Heyer.
Le gouvernement a récemment revu son objectif de croissance pour 2019 à 1,7%, contre 1,9% auparavant. Avec pour première conséquence, une moindre revalorisation des prestations sociales. L'aide personnalisée au logement, les allocations familiales et les pensions de retraite "progresseront de façon plus modérée, de 0,3 % par an en 2019 et en 2020 ", a annoncé Édouard Philippe.
Quel impact sur l'emploi ?
La croissance joue également sur le chômage, qui ne baisse toujours pas de manière sensible. Le taux de 9,1%, très supérieur à la moyenne européenne, ne devrait pas baisser immédiatement. "Avec 0,3% de croissance sur un semestre, c’est tout simplement impossible", indique l’économiste. "Au mieux le chômage se stabilise dans les mois à venir. Mais le risque qu’il augmente ne peut pas être écarté."
Une bonne nouvelle se profile toutefois à l’horizon pour la fin d’année. "Le budget 2017 comprenait des hausses et des baisses d’impôt, en deux temps. Les hausses sont passées et les baisses prévues au second semestre, notamment la taxe d’habitation, devraient redonner du pouvoir d’achat aux ménages", détaille Éric Heyer. Emmanuel Macron et son gouvernement devront donc jongler avec les chiffres pour boucler 2018 sur une note positive.