Grève des taxis, des contrôleurs aériens, des enseignants, etc. : mardi 26 janvier était l’une des rares journées de mobilisation syndicale depuis le début du mandat de François Hollande. Hormis le mouvement d’opposition au mariage pour tous, un combat plus sociétal que social, le président de la République a en effet eu peu de mouvements sociaux à gérer en comparaison avec son prédécesseur Nicolas Sarkozy. Mais peut-on pour autant affirmer que les grèves sont moins fréquentes sous un gouvernement de gauche que sous la droite ? Eléments de réponse.
La tendance générale : des mobilisations de plus en plus rares. Avant de se pencher sur le nombre de jours de grève sous chaque gouvernement, un premier constat s’impose : les mouvements sociaux sont de moins en moins nombreux. Quelle que soit la méthode, les chiffres montrent une baisse vertigineuse : le nombre de journées individuelles non travaillées pour grève dans le privé est passé de 3.505 en 1975 à 500 en 1994. Si la méthode de comptage change après 1996, le nombre de jours de grève poursuit sa chute : il passe de 363 à 193. Une tendance qui se confirme après 2005 et une nouvelle méthodologie, avec un nombre de jours de grève divisé par deux entre 2005 et 2013.
"La grève traditionnelle est un phénomène qui depuis 20, 25 ans tend progressivement à s’épuiser. En revanche, cela ne veut pas dire qu’il n’y a plus ou moins de conflictualité sociale (…) Il y a beaucoup de protestations, mais de plus en plus fragmentées et qui ne parviennent pas à trouver une synergie qui permettrait de les relier les uns aux autres pour en faire un très grand mouvement social d’ampleur nationale", a résumé sur Europe 1 Stéphane Sirot, historien spécialiste de la sociologie des grèves et du syndicalisme, enseignant à Cergy Pontoise. "Les journées d’actions répétitives sans véritablement de lendemain ne fonctionnent plus : elles ne font plus céder le pouvoir politique. Ce qui le fait céder, ce sont davantage des formes de protestation moins ordonnées et malheureusement plus violentes", poursuit l’auteur de l’ouvrage Le syndicalisme, la politique et la grève, France et Europe, XIXe-XXIe siècle.
Une mobilisation qui dépend plus des réformes que des couleurs politiques. Si les mouvements de grève sont moins nombreux, sont-ils néanmoins plus fréquents lorsque le gouvernement en place penche à droite ? L’analyse des données depuis 1996 montre qu’il s’agit d’une idée reçue.
Ainsi, entre 1996 et 2004, le nombre de jours de grève dans le privé (hors sociétés de transports) a légèrement reculé sous Alain Juppé - après une année 1995 particulièrement mouvementée - avant de bondir après l’arrivée de Lionel Jospin à Matignon en 1997. La courbe redescend ensuite : l'alternance politique, avec la nomination de Jean-Pierre Raffarin au poste de Premier ministre en mai 2002, ne change rien à la tendance. Sur cette période (voir infographie ci-dessous), les mouvements sociaux ont été plus nombreux sous la gauche que la droite.
A partir de 2005, la Dares change de méthodologie et empêche toute comparaison avec les années précédentes. Dominique de Villepin est alors à Matignon et le nombre de jours de grève va reculer jusqu’à son départ en 2007. Le Premier ministre a pourtant fait descendre les jeunes dans la rue avec son projet de Contrat Nouvelle Embauche, mais il ne s’agit pas de grève à proprement parler, si bien que les statistiques du ministère du Travail n’en tiennent pas compte.
François Fillon connaîtra en revanche un autre sort : après deux ans de relative stabilité, le nombre de jours de grève explose en 2010, date à laquelle son ministre Eric Woerth lance une réforme des retraites. Une fois cette dernière adoptée, ce nombre continue de reculer. L’arrivée de François Hollande ne change pas la donne et ce n’est qu’en 2013 que la courbe s’inverse, en réaction à une nouvelle réforme des retraites.
Au final, l’ampleur des mouvements de grève ne dépend donc pas de la couleur politique du gouvernement mais davantage de la nature des réformes menées, et notamment lorsqu’elles s’attaquent à des sujets sensibles, tels que la protection sociale et le système de retraite.
Un constat identique dans la Fonction publique. Dans un pays où la dichotomie entre secteur public et privé est très forte, les fonctionnaires se comportent-ils différemment ? Pas vraiment : comme dans le privé, on observe une hausse du nombre de jours de grève sous Lionel Jospin, suivie d’une baisse. En clair, il n’y a pas plus de monde dans la rue lorsque la droite est au pouvoir.
Et comme dans le privé, la mobilisation explose lorsque le gouvernement en place s’attaque aux retraites : c’est le cas avec la réforme Fillon de 2003 et la réforme Woerth de 2010. Seule différence notable, la fonction publique s’est davantage mobilisée que le privé contre la réforme de 2003, et pour cause : elle visait principalement les fonctionnaires pour rapprocher leur régime sur celui du privé.
Les enseignants, un cas particulier ? Malgré leurs différences, secteurs public et privé ont donc beaucoup en commun : ils font de moins en moins grève et ne descendent pas dans la rue en fonction du gouvernement en place mais plutôt en fonction de la réforme en cours. Reste le cas des enseignants, réputés pour voter au tiers en faveur de la gauche. Faute de chiffres, il nous est difficile d’observer si leur comportement face à la grève est différent. Mais Laurent Frajerman, chercheur au Centre d’histoire sociale du XXe siècle (Paris 1), dispose de données chiffrée et a une théorie sur la question.
"Si l’on observe les chiffres de la conflictualité enseignante, on constate que les enseignants font moins grève sous un gouvernement de gauche que sous la droite. Lorsqu’un gouvernement de gauche prend ses fonctions, il bénéficie d’une neutralité bienveillante de la part des profs les premières années. (…) Mais au bout de deux ou trois ans, les mouvements de grève ont tendance à augmenter car l’état de grâce est terminé", a-t-il déclaré dans les colonnes de 20 Minutes.
Aux yeux du chercheur, "lorsque la droite est au pouvoir, les mouvements de contestation démarrent beaucoup plus tôt après le début du quinquennat et se poursuivent ensuite. Nicolas Sarkozy a ainsi précocement et fortement mobilisé les enseignants. Et François Hollande n’est pas près de le rattraper". Et Laurent Frajerman d'ajouter : "si l’on compare, le nombre annuel de journées de grève des enseignants deux ans après le début de leur mandat, on est passé de 660.000 journées de grève en 2009 sous Sarkozy à 150.000 en 2014 sous Hollande".