Journée capitale pour la grève à la SNCF : comme ils l’avaient demandé, les syndicats de l'entreprise ont été reçus lundi par Édouard Philippe. Le Premier ministre les a accueillis avec une main "tendue mais ferme" et n'a abordé que la reprise de la dette, sans toucher au fond de la réforme ferroviaire. Insuffisant pour les grévistes : "il n'y a pas de débat", a regretté la CGT qui entend bien "poursuivre la grève", tout comme la CFDT et SUD-Rail. Retour sur journée de négociation très animée.
Les infos à retenir :
- A l'issue de ses entretiens, Édouard Philippe a proposé de revoir les syndicats le 24 ou 25 mai
- Regrettant le manque de débat, les syndicats ont maintenu leur calendrier de grève
- La grève se poursuit dès lundi 20h avec une nouvelle séquence de deux jours
Édouard Philippe intraitable
Si le Premier ministre a accepté de rencontrer les syndicats, il ne compte toutefois pas lâcher de lest sur la réforme ferroviaire, déjà votée par l’Assemblée nationale. "Nous ne reviendrons pas sur l'ouverture à la concurrence, nous ne reviendrons pas sur la réorganisation de l'entreprise et sur la fin du recrutement au statut", répète à l'envi Édouard Philippe. Seule marge de manœuvre possible pour les syndicats : la compétitivité. "Il reste encore des éléments à préciser d'ici l'examen du texte au Sénat, le 23 mai, notamment au sujet du modèle économique de la SNCF et de sa dette", a précisé Matignon.
Après avoir rencontré l'un après l'autre chaque syndicat, Édouard Philippe a fait le point sur l'avancée des négociations. "Le texte de la réforme ne changera pas fondamentalement" mais il "peut être encore finalisé", a-t-il assuré. Par ailleurs, il a exprimé le souhait de faire voter la reprise de la dette par le Parlement, tout en adoptant une "règle d'or" pour "interdire un endettement excessif" de l'entreprise ferroviaire. Enfin, le Premier ministre a proposé aux syndicats d'"aller plus loin sur l'investissement", "pour financer notamment des travaux de modernisation de la signalisation, qui conditionnent la qualité de service et la régularité des trains".
Les syndicats entre attentisme et combativité
À la sortie, chaque représentant syndical a fait le bilan de sa rencontre avec Édouard Philippe. Première information, le Premier ministre recevra "à nouveau" les syndicats "dans la même configuration" avant l'examen du texte au Sénat, a déclaré Luc Bérille, secrétaire général de l'Unsa. "Aujourd'hui, je pense qu'on a été entendus en termes de méthode et de dialogue social" et "les 15 jours à venir vont être primordiaux", a estimé Roger Dillenseger, secrétaire général de l'Unsa ferroviaire.
La CGT poursuit le combat. Son de cloche différent du côté de la CGT, fer de lance du mouvement de contestation. "Pour nous, clairement, la grève se poursuit", a déclaré en sortant Laurent Brun, secrétaire général de la CGT Cheminots. "Il n'y a pas de débat", "les grévistes vont poursuivre le combat le temps d'avoir (des) réponses du gouvernement", a ajouté Laurent Brun, soulignant qu'il reste "encore trois semaines pour interrompre le processus parlementaire". Toutefois, a noté le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez, ce type de rendez-vous "ne sert pas à rien parce que ça nous permet de repréciser un certain nombre de choses".
SUD-Rail a également appelé les cheminots à poursuivre la grève lundi : "Aujourd'hui, toutes les réponses qui nous sont soumises ne sont pas de nature à arrêter la grève", alors que SUD-Rail était "venu demander un autre pacte ferroviaire" au Premier ministre, a déclaré Erik Meyer, porte-parole du syndicat.
La CFDT déposera des amendements. De même, la CFDT Cheminots va poursuivre la grève à la SNCF. Il n'est "pas question de lever la mobilisation. On continue", a affirmé Didier Aubert, secrétaire général de la CFDT Cheminots. Le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, a souligné de son côté que cette réunion inscrivait le dossier ferroviaire "clairement dans une deuxième phase" où il sera possible de "formuler des propositions avant le passage au Sénat, par le biais d'amendements". Le syndicat déposera ainsi une quarantaine d'amendements en vue de l'examen au Sénat du projet de loi, notamment sur l'ouverture à la concurrence et le statut de l'entreprise.
Seul point en négociation lundi, la reprise de la dette ne semble pas connaître de réelles avancées. Édouard Philippe n'a pas donné de "montant précis" de la reprise, seulement qu’elle serait "progressive et substantielle" du 1er janvier 2020 à 2022, a précisé Roger Dillenseger de l’Unsa. "Il se donne encore du temps pour réfléchir", a complété Philippe Martinez.
FO accuse le gouvernement de "déprotéger les cheminots". Le nouveau secrétaire général de Force Ouvrière (FO), Pascal Pavageau, a accusé le gouvernement de "déprotéger" les cheminots de la SNCF avec son projet de réforme ferroviaire. Avec la prochaine ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de personnes, les cheminots "vont se retrouver dans des conditions dégradées, transférés dans des entreprises qui vont appliquer un moindre coût salarial (...) déprotégés avec moins de droits, moins de rémunération", a-t-il déclaré lundi.
En outre, a-t-il ajouté, les usagers devront "payer plus avec des lignes en moins. Tout le monde va être perdant", "nous serons tous et toutes les victimes à un moment donné de cette contre-réforme". FO, syndicat représentatif dans la branche ferroviaire mais pas à la SNCF, a "proposé une issue (au conflit) par la négociation", ce qui a été "refusé par le gouvernement" qui "ne veut discuter de rien", a indiqué Pascal Pavageau. "On est bien parti pour le maintien de la grève", a-t-il estimé, tout en soulignant que c'était aux cheminots d'en prendre la décision en assemblée générale.
Une "journée sans cheminot" le 14 mai. Quelle que soit l’issue de ces discussions, l'intersyndicale se réunira mercredi soir au siège de la CGT pour faire le point. Les syndicats ont d'ores et déjà promis une "journée sans cheminot" le 14 mai en cas "d'échec" des discussions. D'ici là après un mois de débrayage débute la huitième séquence de grève, de lundi à 20h jusqu’à jeudi à 8h.
Opération coup de poing de cheminots dans trois gares parisiennes
Aux alentours de 13h30, quelque 200 cheminots membres du syndicat Sud-Rail ont fait irruption dans les gares Montparnasse, Gare du Nord et Gare de l'Est, munis de fumigènes allumés, créant un léger mouvement de panique. D'abord pris de court, les CRS sont ensuite intervenus pour repousser, parfois violemment, en faisant usage de leurs matraques et de leurs boucliers, les manifestants sur le parvis de la gare, située dans le 14e arrondissement de Paris. À 14h, les deux groupes se faisaient face sur le parvis, dans un climat tendu. Des chants hostiles à la police ("tout le monde déteste la police", "cassez-vous", "cheminots en colère, on va pas se laisser faire") étaient entonnés par les manifestants.