Comme un air de déjà-vu. Les politiques de tous bord dénoncent depuis vendredi dernier le choix de Renault de maintenir la rémunération de son PDG Carlos Ghosn malgré le vote négatif des actionnaires. Qu’ils viennent de la gauche ou de la droite, les appels à encadrer davantage la rémunération des grands patrons se multiplient, à l'image d'Emmanuel Macron mardi à l'Assemblée nationale. Il faut dire que le cas Ghosn n'est que le dernier exemple en date d'une longue série. Mais si le ton monte à chaque polémique, le passage à l’acte est, lui, bien plus rare. Pourquoi l’Etat a-t-il tant de mal à légiférer sur le sujet ?
La question se pose dès le début du quinquennat. Il ne se passe pas une année sans que la rémunération des patrons du CAC 40 provoque des remous et des déclarations volontaristes des politiques. A peine arrivé au pouvoir, le gouvernement Ayrault doit ainsi gérer en 2012 l’affaire Publicis : les 16 millions que vient de toucher son PDG Maurice Levy passent mal au moment où les salaires stagnent et la fiscalité augmente. Mais le gouvernement ne légifère pas pour autant le secteur privé et ne limite son action qu'au secteur public : il plafonne le salaire des patrons du public à 450.000 euros par an.
Après une année de réflexion, le ministre de l’Economie Pierre Moscovici tranche : "il n'y aura pas de projet de loi spécifique sur la gouvernance des entreprises (privées). J'ai choisi d'agir dans le dialogue". Finalement, il est décidé de faire confiance aux organisations patronales, qui mettent en place en juin 2013 un code de conduite pour s’autoréguler : désormais, les actionnaires voteront sur la rémunération du patron des entreprises cotées, mais la direction pourra passer outre un vote négatif. Une méthode importée du monde anglo-saxon et baptisée "Say on Pay".
A chaque polémique sa menace de légiférer. Ce changement n’a pas pour autant empêché d’autres controverses d’éclater. Ainsi, à peine nommé, le PDG de Sanofi Olivier Brandicourt bénéficie en février 2015 d’un "golden hello" de 4 millions d’euros. Si la ministre Ségolène Royal réclame "un peu de morale" et attend que "des règles soient réaffirmées", le gouvernement ne légifère pas pour autant.
Deux mois plus tard, le PDG de Vivarte s’en va avec un chèque de 3 millions d’euros alors qu’il quitte une entreprise au bord de la faillite. Et si le Medef s’en émeut, le gouvernement reste muet sur le sujet. Le mois suivant, une nouvelle polémique éclate chez PSA, dont l’ancien PDG va bénéficier d’une retraite-chapeau alors qu’il avait assuré le contraire un an auparavant. Le gouvernement ressort de ses cartons un projet de loi encadrant les retraites-chapeau, avant de l’enterrer aussi vite. Tout comme il ne réagira pas à la prime de 13,7 millions d’euros que touche le patron d’Alcatel-Lucent pour avoir réussi à se faire racheter après des années de pertes.
Pourquoi les discours ne sont-ils pas suivis d’actes ? La controverse qui a éclaté vendredi chez Renault n’est donc que le dernier épisode d’un long feuilleton. Et comme d’habitude, le pouvoir en place a tapé du poing sur la table, Emmanuel Macron menaçant de "légiférer" si rien ne change. Une hypothèse qui paraît peu probable au regard des épisodes précédents. Le gouvernement est conscient que son action est limitée : il peut difficilement s’immiscer dans le secteur privé. Dans une économie mondialisée et de plus en plus dématérialisée, les entreprises peuvent plus facilement qu’auparavant quitter un pays dont les lois l’indisposent. C'est d'ailleurs la menace brandie par HSBC pour dissuader le Royaume-Uni d'augmenter la taxation des banques. Une menace prise très au sérieux au moment où les Etats se battent pour accueillir le QG des plus grandes firmes.
De plus, une loi peut être contournée et surtout générer des effets pervers aussi importants que les bénéfices recherchés : les entreprises françaises redoutent par exemple de ne plus arriver à attirer des patrons de renom si leur salaire est encadré. "Je me considère comme un joueur de football ou comme un pilote de Formule 1, il y a un marché", soulignait ainsi mercredi Carlos Tavares, le patron de PSA, sous-entendant que s'il était moins bien payé, il pourrait aller voir ailleurs.
A cela s’ajoute une dimension politique et symbolique : la volonté de se réconcilier avec le monde de l’entreprise. Car si les déclarations du candidat Hollande sur le monde de la finance et sa taxe exceptionnelle de 75% lui ont permis de gagner des voix à gauche, elles ont été du plus mauvais effet sur le monde de l’entreprise, surtout à l’étranger. Pour éviter de se voir affubler d’une image anti-business, le gouvernement a donc préféré ne pas en rajouter. D’où les "j’aime l’entreprise" à répétition et le choix de miser sur l’autorégulation.
Quelles solutions pour éviter de nouvelles polémiques ? Ne souhaitant visiblement pas entamer un bras-de-fer avec les grandes entreprises, le gouvernement dispose de marges de manœuvres limitées et privilégie deux autres leviers d’actions : miser encore sur l’autorégulation ou agir au niveau européen.
Les organisations patronales du Medef et de l’Afep pourraient donc être invitées à revoir leur code de bonne conduite avec un objectif : que le vote des actionnaires ne soit plus consultatif mais en partie contraignant, comme c’est le cas au Royaume-Uni. Le Medef a assuré mardi qu’il allait se pencher sur la question. La solution pourrait également venir de Bruxelles, où une directive sur le Say on pay est à l’étude depuis 2014. Sauf que le principe d’un vote contraignant des actionnaires n’est pas encore acquis et qu’une telle réforme pourrait n’entrer en application qu’en 2018.