"Chez E.Leclerc, vous savez que vous achetez moins cher". Visiblement, Michel-Édouard Leclerc est toujours attaché au slogan historique de l’enseigne fondée par son père. A l’heure de clore la première phase des États généraux de l’alimentation, qui doit permettre de mieux rémunérer les agriculteurs, le président de la chaîne d’hypermarchés fait entendre sa voix dissidente. Leclerc estime que le relèvement du seuil de revente à perte, envisagé par l’ensemble des parties prenantes, distributeurs comme agriculteurs, va se répercuter par une forte hausse des prix pour les consommateurs.
Payer plus cher les producteurs. Mardi, les présidents des sept ateliers de réflexion des États généraux de l’alimentation, lancés le 28 août, ont présenté leurs premières pistes au ministre de l’Agriculture Stéphane Travert. Pendant plus d’un mois, industriels, distributeurs et agriculteurs ont débattu sur deux thèmes : mieux rémunérer les agriculteurs et mettre fin à la guerre des prix. Parmi les mesures envisagées (voir encadré), un consensus aurait été trouvé pour relever le seuil de revente à perte, c’est-à-dire le prix en dessous duquel un distributeur ne peut pas commercialiser un produit.
"Hausses de prix de 5 à 15%". Concrètement, il s’agirait d’inclure dans le prix d’achat les frais de mise en marché. Relever ainsi le seuil aurait deux effets : payer plus cher les produits aux fournisseurs et aux agriculteurs et augmenter la marge des distributeurs tout en tenant compte de leurs frais. A priori, la mesure contente tous les acteurs. Mais pas Michel-Édouard Leclerc qui multiplie les sorties médiatiques pour fustiger le relèvement du seuil de revente à perte. Sur son blog, l’homme d’affaires dénonce un "deal complètement irresponsable" qui entraînerait "des hausses de prix de 5 à 15 % sur des milliers d'articles alimentaires… sous prétexte d'aider les agriculteurs". Il affirme également que la mesure ne bénéficiera pas réellement aux producteurs mais plutôt aux grandes marques alimentaires.
Leclerc "représente un ancien monde". Fidèle à sa politique de prix bas, Leclerc se pose dans ce débat en défenseur du consommateur, quitte à fâcher le monde agricole. La FNSEA, instigatrice du relèvement du seuil, a dénoncé la position de l’enseigne de grande distribution. "M. Leclerc est très bavard à l'extérieur des Etats généraux de l'alimentation mais ses représentants dans les ateliers ont été peu bavards", a ironisé la présidente de la FNSEA, Christiane Lambert. Le patron des supermarchés Leclerc "représente un ancien monde, celui des prix toujours plus bas", selon elle. "Les consommateurs veulent autre chose, ils veulent de l'origine, de la qualité, de la proximité, ils veulent savoir qui produit et comment et ils veulent surtout redonner plus de centimes aux producteurs", a-t-elle estimé. Mercredi, Christiane Lambert a renouvelé ses critiques contre Michel-Édouard Leclerc, le jugeant "insolent et provocateur". "Son attitude - avec son credo sur les prix les plus bas - est scandaleuse" a-t-elle déclaré.
Michel-Édouard Leclerc est d’autant plus critiqué qu’il est relativement isolé. Agriculteurs, industriels et certains distributeurs estiment de leur côté qu’il "ment" sur l'impact pour le consommateur des mesures envisagées. Les promoteurs du relèvement du seuil de revente à perte estiment en effet que la hausse des prix en rayons sera contenue entre 0,1% et 0,8%, loin de l’estimation de Leclerc. Parmi eux, Serge Papin, patron de Système U, a déclaré que les fortes marges perçues par les distributeurs sur les produits agricoles et les faibles marges perçues sur les produits de grande consommation sont "la base de l'injustice que vit le monde agricole aujourd'hui". "Le Nutella est subventionné par la pomme Royal Gala", a-t-il résumé.
Soutien de l’UFC-Que Choisir. Pour autant, Michel-Édouard Leclerc n’est pas totalement seul dans ce débat. Il a reçu le soutien de l’UFC-Que Choisir. L’association de consommateurs a publié une étude dans laquelle elle estime qu’un relèvement du seuil de revente à perte à hauteur de 15%, "se traduirait dès 2018, par une hausse des prix de 1,4 milliard d’euros, soit +2,4 % sur les rayons concernés". "Celle-ci concernera d’abord les produits de grande marque, qui servent de produit d’appel aux distributeurs et sont donc régulièrement vendus à marge faible", ajoute l’UFC-Que Choisir. L’association s’appuie sur une analyse de la dernière période de relèvement, entre 1996 et 2006-2008 en France, qui "avait conduit à une inflation des produits alimentaires huit points plus élevée en France que dans les autre pays d’Europe de l’Ouest" et "était d’abord venue nourrir les marges de la grande distribution, qui avaient augmenté de près de 54 % entre 1996 et 2002".
L’UFC-Que Choisir explique également que les retombées pour les agriculteurs seraient "hypothétiques". En effet, les produits alimentaires non transformés, comme les fruits et légumes, la viande et le poisson, ne seraient pas concernés par le relèvement du seuil. Mais surtout, "dans l’hypothèse où les distributeurs achèteraient plus cher leurs produits aux industriels", les agriculteurs devraient encore "compter sur la bonne volonté des gros industriels de l’agroalimentaire pour augmenter d’eux-mêmes leurs prix d’achat des matières premières agricoles". Autrement dit, obliger les distributeurs à vendre plus cher n’est pas une garantie d’amélioration du revenu des agriculteurs.
Annonces de Macron le 11 octobre. Qui de Leclerc ou des agriculteurs aura le fin mot de l’histoire ? Réponse le 11 octobre, date à laquelle le président, Emmanuel Macron, doit annoncer les premières mesures retenues à l'issue des États généraux de l'alimentation. Quoi qu'il en sorte, "les choses n'auront pas changé le 12", prévient Christiane Lambert. "La question est de savoir si le gouvernement va mettre le genou à terre devant M. Leclerc ou pas. Nous ne le voulons pas. Il y a eu trop de perte de valeur" dans la chaîne production-alimentation-distribution, a-t-elle dit,concluant : "C'est insupportable".
Plusieurs mesures envisagées
Outre le relèvement du seuil de vente à perte, les ateliers de réflexion des États généraux de l’alimentation ont débouché sur un certain nombre de pistes pour améliorer le revenu des agriculteurs, dévoilées par Le Figaro. Parmi elles figurent des incitations aux producteurs à se regrouper au sein d’organisations afin de mieux faire valoir leurs intérêts et surtout une "inversion de la construction des prix". Au lieu de commencer les négociations des prix en partant du prix de revente visé par les distributeurs, cette mesure instaurerait une formule mettant d’abord en avant les coûts de production des agriculteurs. Enfin, côté commercialisation, les rapporteurs envisagent d’encadrer les promotions, en les limitant à 34% en moyenne du prix de vente et à 25% des volumes vendus.