Marine Le Pen dévoilera son programme pour l’élection présidentielle en février mais elle distille d’ores et déjà quelques propositions. Invitée de la matinale d’Europe 1 mercredi, la candidate du Front national a évoqué un thème cher à son parti : la sortie de l’euro. Pour remplacer l'actuelle monnaie unique, Marine Le Pen souhaite réinstaurer une monnaie nationale tout en réfléchissant à la mise en place d’une "monnaie commune", réservée aux États et aux grandes entreprises. Comment compte-t-elle mettre en place un tel système ? Et est-ce même envisageable ?
Sortir de l’euro
La sortie de l'euro, c’est le crédo du Front national depuis des années. Pour Marine Le Pen, "l'euro a échoué, cette monnaie a entraîné une augmentation spectaculaire des prix et donc une baisse du pouvoir d'achat. Nous sommes victimes d'un dumping monétaire, cela nous fait perdre notre compétitivité", a-t-elle rappelé sur Europe 1. La présidente du FN propose donc de revenir à une monnaie nationale, un nouveau franc.
Nécessaire dévaluation. Dans l’hypothèse avancée où un nouveau franc équivaudrait à un euro, il lui faudrait procéder à une dévaluation afin de combler le différentiel de compétitivité actuel. "La dévaluation serait positive pour les exportations mais néfaste pour les importations car notre monnaie pourrait acheter moins de produits pour un même prix", explique Anne-Laure Delatte, économiste au CEPII, spécialiste des questions monétaires.
Tel que son projet est formulé aujourd’hui, Marine Le Pen semble souhaiter imposer un taux de change fixe à ce nouveau franc, par rapport à l’euro ou au dollar. Une telle mesure empêcherait la monnaie nationale de varier par rapport à la devise choisie. Mais cela ne garantit pas une protection totale. Car si le nouveau franc est fixé par rapport à l’euro, il y aura de la volatilité face au dollar. Par ailleurs, il faut fixer le bon taux de change : s’il est trop fort ou trop faible, la monnaie nationale pourra être attaquée sur les marchés, si les décideurs jugent que un nouveau franc ne vaut pas un euro.
Risque pour le pouvoir d'achat. La dévaluation s’accompagnerait nécessairement de négociations très compliquées car tout ne serait pas dévaluer dans les mêmes proportions. "En cas de retour à une monnaie nationale, les dettes seraient converties dans la nouvelle devise sur la base du taux de change. Mais rien n’indique que les salaires suivraient", précise Anne-Laure Delatte.
Le précédent argentin
Jusqu’en 2001, l’Argentine avait fixé son peso sur le dollar. Les deux monnaies avaient quasiment la même valeur et il était possible de payer en peso comme en dollar à la boulangerie. En 2001, le gouvernement a mis fin à cette parité fixe. Le peso a donc fluctué soudainement. Il y a eu des conflits entre prêteurs et débiteurs – puisque forcément un des deux était perdant – qui ont mis dix ans à se régler. Pour assurer une certaine stabilité monétaire, l’Argentine a décrété un taux de change artificiel à l’intérieur, ce qui l’a contrainte à faire défaut sur sa dette extérieure. Un scénario qui pourrait se reproduire en France en cas de sortie de l’euro, rappelle Anne-Laure Delatte.
Un retour à l’ECU ?
En sortant de l’euro, Marine Le Pen compte récupérer la souveraineté monétaire de la France. A côté, elle propose la mise en place d’une monnaie commune basée sur une coopération monétaire ciblée avec certains pays d’Europe. Toutefois, il ne s’agirait pas d’une vraie monnaie "palpable". "Il est possible d'envisager pour l’État et les entreprises, ce qui a existé par le passé, avec l'ECU, une monnaie commune. C'est un peu compliqué, ça ne touche pas les 60 millions de Français, ça touche exclusivement les États ou les grandes entreprises", a expliqué la présidente du FN sur Europe 1.
L'ECU, un vieux projet. Marine Le Pen fait ici référence à l’ECU, acronyme de European Currency Unit (Unité de compte européenne). Il ne s’agit pas à proprement parler d’une monnaie mais d’un panier de valeurs mis en place de 1979 à 1998 au sein de l’Union européenne. Le but de ce système était de stabiliser les fluctuations des taux de change des différentes monnaies européennes et ainsi éviter tout déséquilibre au sein de l’UE. La valeur de l’ECU était déterminée en fonction de celle des monnaies des pays de l’UE. Chacune avait un poids dans le calcul : par exemple, en 1998, le franc pesait pour 20% dans le calcul, contre 32% pour le deutsche mark, 12% pour la livre sterling, 4% pour la peseta, etc.
Le taux de change des monnaies nationales était déterminé par rapport à l’ECU, qui était très stable puisque l’éventuelle perte de valeur d’une monnaie était compensée par celle des autres monnaies du panier. Résultat, les monnaies des pays de l’UE étaient également stables les unes par rapport aux autres.
"Pas une grande réussite". L’ECU était utilisé comme unité de compte par les institutions européennes et les banques centrales. Cet outil de stabilisation monétaire a été abandonné en 1999 au moment du passage à l’euro et Marine Le Pen reconnaît elle-même que l’ECU "n’a pas été, c’est vrai, une grande réussite" !
Le paradoxe des deux monnaies
Malgré tout, la candidate FN à la présidentielle espère mettre en place une monnaie commune plus ou moins similaire à l’ECU dans le cadre d’une "coopération monétaire avec les pays d’Europe". Or, pour l’instant, aucun de nos voisins n'a manifesté la volonté de revenir à un tel système. Pas plus qu’ils ne réclament un "serpent monétaire" - procédé en cours avant l’ECU qui reliait toutes les monnaies nationales entre elles et empêchait leur taux de change de fluctuer de plus de 2,25%. Marine Le Pen a également fait référence à ce système récemment. A l’heure actuelle, l’euro, malgré ses défauts, semble satisfaire les pays qui l’utilisent.
Projet paradoxal. "Le projet de double monnaie de Marine Le Pen présente une incohérence majeure", selon Anne-Laure Delatte. "En effet, dans le domaine monétaire, la coopération implique forcément une cession de souveraineté". Si la présidente du FN trouve des États qui souhaitent s’associer à sa démarche, il lui faudra négocier avec eux la valeur de cette monnaie commune, le poids de chaque monnaie nationale dans le panier et le taux de change. Elle n’aura donc pas de marge de manœuvre totale pour fixer le taux du nouveau franc et assurer qu’il maintienne le pouvoir d’achat des Français par rapport à aujourd’hui.
Pour résumer, l’économiste du CEPII tente une métaphore : "Soit on se balade ensemble, soit on se balade tout seul. Mais on ne peut pas faire les deux en même temps. On a essayé avant les années 1970 avec la Communauté économique européenne (CEE) où chaque pays avait sa monnaie. La trop grande volatilité des monnaies européennes les unes par rapport aux autres est vite devenue ingérable."
Deux "vraies" monnaies ?
Le Front national va devoir préciser son projet monétaire, d’autant que tout le monde ne semble pas être sur la même ligne. Ainsi, Jean-Richard Sulzer, conseiller économique de Marine Le Pen et conseiller régional des Hauts-de-France a évoqué dans Ouest-France la possibilité pour les Français d’avoir "deux cartes de crédit : une carte en franc pour les paiements intérieurs, une carte en euro ou en écu pour aller dans tous les pays qui ont adopté l’écu monnaie commune, où vous paierez en écus".
"Hyper compliqué". La monnaie commune prendrait ici la forme d’une monnaie "palpable" et qui, surtout, concernerait bien tous les Français. Jean-Richard Sulzer va donc plus loin que Marine Le Pen qui maintient qu’il n’y aura pas deux monnaies pour le quotidien. Pour Anne-Laure Delatte, du CEPII, avoir deux cartes de crédit pour deux devises "n’est pas impossible après tout". "Mais ce serait hyper compliqué à gérer pour les banques et les entreprises !", insiste-t-elle.
Si le FN s’aventure sur le terrain de la monnaie commune en sus de la monnaie nationale, c’est notamment parce qu’il tente de rassurer sur sa position de sortie de l'euro, majoritairement rejetée par les Français, selon les enquêtes d'opinion. La solution prônée par Marine Le Pen apparaît donc comme une alternative à une sortie radicale de l’euro.