Déjà échaudés par l’arrivée des VTC dans leur secteur, les conducteurs de taxis voient rouge depuis qu’une nouvelle offre a fait son apparition : UberPop, des véhicules conduits par des chauffeurs occasionnels qui recherchent un complément de revenus. Un service déclaré illégal par la justice en octobre 2014 et interdit par les préfets mais rien n’y fait : Uber ayant fait appel, ses chauffeurs occasionnels continuent de rouler et débarquent même dans de nouvelles villes. Les chauffeurs ont donc décidé de faire monter la pression en se faisant justice eux-mêmes : les guet-apens se multiplient à travers tout le territoire.
Marseille ouvre le bal. Ce sont les chauffeurs de taxi marseillais qui ont lancé le mouvement début juin lors d’une opération qu’ils ont pris soin de filmer. Un chauffeur UberPop s’est alors retrouvé piégé par plusieurs dizaines de chauffeurs venus lui demander des comptes, avant que le ton monte et que la "cible" se fasse écraser un oeuf sur la tête. Objectif de la manoeuvre : envoyer un message à tous les conducteurs de VTC et dissuader les vocations. Une stratégie qui fait tâche d’huile depuis : d’autres pièges similaires ont été montés à Nice, Lille, Nice, Paris ou Strasbourg.
"On va pas se laisser faire, c’est clair". Jeudi soir, ce sont les chauffeurs de taxis nantais qui sont passés à l’action lors d'une opération à laquelle Europe 1 a pu assister. Il est minuit passé lorsque Sébastien, taxi nantais depuis 13 ans, donne le top départ et réalise une commande UberPop sur son téléphone. "On est une dizaine dans chaque rue. Comme ça, dès qu’il va arriver, on va le bloquer. Je suis révolté, j’ai la haine. Maintenant, c’est la guerre. Nous, artisans taxi, on a tout payé : une licence à 180.000 euros. Maintenant, c’est la guerre pour défendre notre boulot. Le préfet dit que c’est illégal et rien ne bouge pour les arrêter et les mettre en garde à vue ! Je bous dans ma voiture", s’indigne-t-il en attendant sa proie.
"C’est bon, il est pris. William, Mercedes Classe C", annonce-t-il en appelant des renforts. "Il faut lui enlever les clefs", conseille-t-il à un collègue, avant d’ajouter : "bien sûr que ça peut être chaud : si l’individu en face réagit, nous on ne va pas se laisser faire, c’est clair. Il nous faudra pas beaucoup de temps pour retourner sa voiture". Lorsque le véhicule UberPop arrive, il est rapidement bloqué et un dialogue tendu s’engage.
"Hé, tu vois pas dans les journaux que c’est interdit !", lui lance Sébastien. "Moi, ils ne m’ont pas dit que c’était interdit", lui répond le chauffeur UberPop, un jeune tuyauteur qui s’improvise VTC depuis trois jours pour compléter ses revenus. "T’arrives comme ça, et tu travailles, tu prends notre pain. Nous, c’est notre job", lui rétorque le chauffeur de taxi. "Si j’avais su, je serai resté chez moi", conclut William, dont le véhicule ne repartira jamais : appelé par les artisans taxi, la police l’a embarqué. Au total, six chauffeurs ont été "livrés" à la police en trois jours.
A Strasbourg et Nice, les chauffeurs de taxis dérapent. Si l’opération nantaise s’est terminée sans heurts, ce n’est pas toujours le cas. A Marseille, les explications se sont terminées par un jet d’œuf. A Strasbourg, elles ont donné lieu à deux agressions mardi et mercredi : dans les deux cas, un chauffeur de taxi s'est fait passer pour un client d'UberPOP pour amener la victime dans un endroit isolé où, à chaque fois, elle a été prise à partie par "une vingtaine" de chauffeurs de taxi qui ont endommagé son véhicule. Lors de la première agression, mardi, la victime a été arrosée d'oeufs et de farine, le tout étant filmé et mis en ligne rapidement pour envoyer un message.
A Nice également, une trentaine de chauffeurs de taxi ont démoli mardi une voiture UberPOP attirée dans un guet-apens et frappé son chauffeur, a relaté le directeur de la communication d'Uber pour l'Europe de l'ouest, causant "pour 10.000 euros de dégâts", selon lui. Les chauffeurs de taxis affirment de leur côté que l'homme avait pris peur et a reculé dans des poubelles, selon la police niçoise, qui a ouvert une enquête.
"Nous sommes en train de recenser les plaintes. Plusieurs dizaines ont été déposées pour des faits d'agression et de dégradations de véhicules", a poursuivi le cadre d’UberPop, dénonçant des "méthodes de voyou", "totalement scandaleuses". Ou comment des chauffeurs de taxis flirtent avec l’illégalité pour contrer des chauffeurs UberPop eux-mêmes en infraction avec la loi.