En plus de 200 ans, Wall Street, la plus célèbre bourse au monde, a connu un certain nombre d'histoires extraordinaires. Mais peut-être aucune de plus folle que celle de "l'affaire Gamestop". Depuis mi-janvier, l'action de cette chaîne américaine de magasins de jeux vidéo, propriétaire en France de Micromania, fait l'objet d'une bataille acharnée entre des fonds spéculatifs et des traders amateurs. En quelques jours, le cours a été multiplié par 20 et les particuliers ont fait perdre des milliards aux fonds d'investissement. Les autorités de régulation s'en mêlent et l'affaire devient même politique.
Les fonds spéculatifs pris à leur propre jeu
Tout a commencé mi-janvier quand des hedge funds, des fonds spéculatifs, ont décidé de parier sur la baisse de l’action de Gamestop. Pour ce faire, ils ont pratiqué une forme de vente à découvert : ils ont emprunté des actions, les ont vendues quand le cours était élevé et ils attendaient qu'il baisse pour les racheter à bas prix avant de les rendre aux organismes auxquels ils les avaient empruntées, engrangeant au passage une juteuse plus-value. L’affaire aurait dû être une opération parmi des millions d'autres dans une journée à Wall Street.
Mais des traders amateurs de WallStreetBets en ont décidé autrement. Les six millions de membres de cette communauté en ligne, qui se rassemble principalement sur Reddit, site très populaire sur lequel chaque sujet prend la forme d'un forum, partagent quotidiennement leurs bons plans de boursicotage, leurs plus gros gains et leurs plus grosses pertes. Ayant eu vent du plan des hedge funds, ils ont voulu voir s’ils pouvaient, avec leurs petits moyens, contrecarrer les plans des fonds d’investissement. Et ils ont réussi !
Des milliers de "Robin des bois"
Les traders amateurs se sont coordonnés pour acheter en masse des actions Gamestop dans le but d'en faire grimper le cours. Ils sont passés pour ça par Robinhood, une application permettant de jouer en bourse simplement et surtout sans payer de commissions. En quelques jours, le cours de l’action a été multiplié par 20, passant de 17 à 340 dollars. Non content de réussir leur coup, certains ont au passage engranger des milliers, voire des millions de dollars de plus-value.
Et pendant que les amateurs s'enrichissaient, les fonds spéculatifs eux, perdaient des sommes colossales. Selon le New York Times, Melvin Capital, l'un des principaux fonds à avoir parié contre Gamestop, aurait lâché 3,75 milliards de dollars dans l'opération. D'autres ont été contraints d'arrêter les frais en revendant leurs actions et en acceptant les pertes. De quoi attirer l'attention des autorités. La Maison Blanche et la SEC, le gendarme boursier américain, ont fait savoir qu'ils surveillaient dorénavant les opérations liées à Gamestop sur les marchés financiers.
Un braquage amateur devenu une affaire d'État
L'affaire aurait pu s'arrêter là mais elle a subitement pris un tour politique. Jeudi, alors que le cours de l'action était au plus haut, Robinhood, l'application prisée par les boursicoteurs, a suspendu les achats d'action, privant ainsi les milliers de petits porteurs de leur accès au marché pour ce titre. Conséquence directe de cette décision : l’action a plongé et faisait le yo-yo vendredi. Des élus du Congrès, notamment la démocrate Alexandra Ocasio-Cortez, soutenur par le Républicain Ted Cruz, s’en sont alors mêlés, dénonçant l’inégalité de traitement entre les particuliers et les fonds d’investissements qui, eux, peuvent toujours acheter des actions Gamestop.
This is unacceptable.
— Alexandria Ocasio-Cortez (@AOC) January 28, 2021
We now need to know more about @RobinhoodApp’s decision to block retail investors from purchasing stock while hedge funds are freely able to trade the stock as they see fit.
As a member of the Financial Services Cmte, I’d support a hearing if necessary. https://t.co/4Qyrolgzyt
u can’t sell houses u don’t own
— Elon Musk (@elonmusk) January 28, 2021
u can’t sell cars u don’t own
but
u *can* sell stock u don’t own!?
this is bs – shorting is a scam
legal only for vestigial reasons
Même Elon Musk s'est emparé du sujet. Dans une série de tweets, il a d'abord recommandé d'acheter des actions Gamestop, avant de s'insurger contre la suspension imposée par Robinhood puis de s'attaquer au fonctionnement même de Wall Street. "Vous ne pouvez pas vendre des maisons ou des voitures que vous ne possédez pas mais vous pouvez vendre des actions que vous ne possédez pas ?! C'est n'importe quoi. La vente à découvert est une arnaque, légale uniquement pour des raisons archaïques", s'est emporté Elon Musk. Le braquage amateur s’est transformé en une affaire d’État qui secoue les fondements de la vénérable Wall Street.