Le ton monte chez Air France. Avant même la tenue du prochain jour de grève prévu vendredi, les onze syndicats de la compagnie aérienne ont d’ores et déjà prévu de renouveler leur protestation les 3 et 7 avril, le premier jour coïncidant avec le début de la grève longue durée à la SNCF. Estimant qu’elle n’est toujours pas entendue par la direction sur la question des salaires, alors qu’elle a déjà appelé les salariés à cesser le travail le 22 février et le 23 mars, l’intersyndicale veut désormais durcir le mouvement. En face, le PDG d’Air France Jean-Marc Janaillac campe sur ses positions.
Les syndicats réclament 6% d'augmentation. "Nous allons durcir le rythme des mouvements" face à une direction qui, "en n'apportant aucune réponse concrète" aux revendications exprimées les 22 février et 23 mars, "campe sur ses positions et cherche la division", ont indiqué les organisations de pilotes (SNPL, Spaf, Alter), d'hôtesses et stewards (SNPNC, Unsa-PNC, CFTC, SNGAF) et de personnels au sol (CGT, FO et SUD). Sans être membre de l'intersyndicale, l'Unac (représentatif parmi les hôtesses et stewards) appelle également à la grève.
L’intersyndicale réclame toujours "une augmentation générale de 6% des grilles de salaire afin de rattraper l'inflation" accumulée depuis 2011, date de la dernière augmentation générale. Inacceptable pour la direction qui estime que la rémunération de la plupart des salariés a déjà augmenté au cours des dernières années et rejette une augmentation de 6% qui, selon elle, coûterait 240 millions d’euros et rognerait la capacité de croissance et d’investissement d’Air France. A la place, la direction propose d’étudier au cas par cas les salariés qui n’auraient pas été augmentés depuis 2011.
Air France débloque 200 millions. Pour 2018, elle a décidé d'appliquer unilatéralement une augmentation générale de 1%, en deux temps, couplée à une enveloppe d'augmentations individuelles (primes, promotions, ancienneté...) de 1,4% pour les seuls personnels au sol. En plus, les primes d’intéressement seront multipliées par 2,8 par rapport à 2016. Soit une redistribution de 130 millions d’euros. En ajoutant les mesures de rattrapage au cas par cas, Franck Terner, le directeur général d’Air France, affirme dans Le Parisien qu’Air France débloque "200 millions d’euros". Les syndicats jugent toutefois cette avancée insuffisante au regard des résultats de l'entreprise (bénéfices de 590 millions d’euros en 2017) et des efforts fournis dans le passé. Ils ont donc décidé de poursuivre le mouvement.
De son côté, Air France "déplore ce nouvel appel à la grève qui pénalisera les clients et les salariés tout en dégradant la situation de l’entreprise". La direction craint notamment un "conflit destructeur" qui minerait le redressement engagé depuis quelques années. Pour tenter de résorber la grogne, elle a donc décidé de discuter séparément avec les pilotes, qui réclament en outre une revalorisation de certaines annexes de rémunération, portant le total de leur augmentation demandée à 10,7%.
Les pilotes claquent la porte. Nouvel échec : la troisième séance de négociation salariale a tourné court jeudi, les syndicats de pilotes SNPL et Spaf l'ayant quittée "après même pas 40 minutes" en dénonçant un manque d'écoute de la direction. "Au 3ème jour de négociation, on n'a toujours pas abordé nos demandes" concernant un "rattrapage de l'inflation" sur sept ans et des "ajustements de nos conditions de travail", a dénoncé Grégoire Aplincourt, représentant du SNPL. Lors des plans de productivité précédents, a-t-il ajouté, la direction a dit aux pilotes : "donnez de la productivité, de la souplesse, donnez, donnez", sans contrepartie. Maintenant que l'entreprise va mieux, les syndicats de pilotes veulent négocier salaires et conditions de travail, mais, toujours selon lui, la direction veut discuter de nouveaux efforts avant de parler redistribution.
Chacun campe sur ses positions et "le climat devient électrique", alerte Philippe Evain, président du SNPL, dans Le Monde. D’autant que la tentative de négociation séparée entre pilotes et personnel de cabine passe mal. Le quotidien du soir révèle que Jean-Marc Janaillac a adressé deux lettres différentes pour tenter d’apaiser les tensions. Aux pilotes, il dit : "Même si nos marges de manœuvre sont encore très faibles, j’ai entendu les demandes de vos représentants". Alors qu’aux hôtesses et stewards, il ne laisse aucun espoir : "Nous devons continuer la transformation engagée dans tous les domaines, réduire nos coûts, augmenter nos recettes, améliorer encore notre réseau".
Une grève coûteuse. Le dialogue social dans une impasse et le conflit qui se prolonge finissent par peser lourdement sur les comptes d’Air France, avec un manque à gagner de plus de 25 millions d’euros par journée de grève. Au point que la bataille se mène également sur le terrain de la communication, chaque camp avançant ses chiffres. La grève du 23 mars a été suivie par 18% des salariés et a conduit à l'annulation d'un quart des vols, selon les chiffres de la direction, entraînant ainsi un manque à gagner de plus de 25 millions d’euros. L'intersyndicale conteste ces données et évoque "plus de 56% des vols impactés au départ des bases". Elle y ajoute 42% et 59% de vols "annulés ou affrétés" respectivement sur long-courrier et moyen-courrier. Une bataille de chiffres qui risque de durer encore quelques temps.
Mobilisation stable
Air France prévoit d'assurer "76%" de ses vols vendredi, en dépit du troisième appel à la grève pour les salaires lancé par onze syndicats, a annoncé jeudi la direction dans un communiqué. La tendance est quasi-identique à celle du 22 février et du 23 mars, quand les prévisions de vols faisaient état d'un trafic assuré à 75%. Dans le détail, la compagnie aérienne anticipe le maintien vendredi de 80% des vols long-courriers, autant de court-courriers à Orly et en province, ainsi que 70% des vols moyen-courriers au départ et vers Roissy-Charles de Gaulle.