De nouveaux abattages et une perte de production colossale pour les éleveurs... Face à la propagation de la grippe aviaire dans des élevages du Sud-Ouest, l’État a ordonné l’abattage massif de canards dans 150 communes à partir de jeudi, abattage qui vient s’ajouter aux 300.000 canards déjà abattus en décembre. Si le ministère de l’Agriculture prend en charge l’intégralité des opérations d’abattage, les éleveurs pourraient à terme payer l’addition de cette crise sanitaire qui dure depuis cinq semaines.
À l'appel du collectif Les Canards en colère, plusieurs dizaines d’éleveurs ont crié leur désarroi, jeudi, à Auch, dans le Gers - premier département touché par l’épidémie - devant la préfecture, où se tenait un comité de suivi de la grippe aviaire entre représentants de la filière et les autorités. "On nous a demandé d’arrêter de produire sans savoir quand on va reprendre et on ne sait pas si pendant ce temps-là, on va avoir une indemnisation quelconque. On est au bord du précipice", s’est inquiété au micro d’Europe 1 Philippe Baron, éleveur concerné par l’abattage.
Crédit photo : REMY GABALDA / AFP
Plusieurs dizaines de millions d'euros de pertes pour les éleveurs
Le ministère de l’Agriculture a promis d’indemniser les éleveurs concernés par les abattages "lorsque la situation sera stabilisée", indique un communiqué officiel. Ces indemnisations pourraient être versées d’ici plusieurs mois, un délai que redoute le porte-parole du collectif Les Canards en colère, Lionel Candelon. "Les dossiers d’indemnisation n’ont pas encore été publiés par le ministère. Et on va devoir faire venir des experts pour chiffrer la perte de production. Cela va prendre quatre à cinq mois minimum avant les premières indemnisations", explique-t-il à Europe 1.fr. Selon le site France Agricole, l’indemnisation des éleveurs lors de la précédente épidémie de grippe aviaire en décembre 2015 variait entre 40 centimes d’euros et 45 euros par animal abattu.
La "stratégie de dépeuplement" décidée par le gouvernement, qui a débuté le 5 janvier, doit se terminer dans une quinzaine de jours. S’en suivra une période encore indéterminée de vide sanitaire, qui impose le nettoyage de fond en comble de l'exploitation et donc l’arrêt de la production dans les élevages des zones infectées. "En fonction de la durée du vide sanitaire, la perte financière pour tous les élevages confondus, de canards et de volailles, s’élèvent à plusieurs centaines de millions d’euros", ajoute Lionel Candelon. Le Comité interprofessionnel des palmipèdes à foie gras (Cifog), présent au comité de suivi jeudi à Auch, craint pour sa part des pertes de l’ordre de 80 millions d’euros pour les éleveurs.
"Il n’y a pas que le canard qui est tué, il y a aussi les éleveurs"
"On ne sait pas quand on va pouvoir reprendre la production, on parle de trois à quatre mois minimum. Mais les éleveurs ne pourront pas tenir quatre mois sans revenus. Car si on a accordé le chômage partiel aux entreprises, les petits éleveurs, eux, n’ont rien pour tenir", s’inquiète le porte-parole des Canards en colère, estimant qu’ "il n’y a pas que le canard qui est tué, il y a aussi les éleveurs". "Ça fait déjà cinq semaines que les éleveurs n’ont plus de revenus", s'alarme-t-il. Selon Bernard Lannes, président de la Confédération paysanne, deuxième syndicat agricole, les éleveurs touchés par ces abattages ont besoin d'aide financière immédiate pour mener à bien les opérations de désinfection, de vide sanitaire et de redémarrage : "Nous avons calculé un besoin de 27 millions d'euros environ en avance de trésorerie pour la filière", a précisé Bernard Lannes à l'AFP.
Au-delà des pertes liées à l’arrêt de la production, les éleveurs pourraient se voir demander d'investir dans la biosécurité, afin de prévenir en amont la propagation du virus H5N8 dans les élevages, présage Lionel Candelon. "J’ai appris que le Cifog a demandé à équiper les sas de sécurité de douches", rapporte-il, en précisant qu'un sas coûte environ 2.000 euros, une charge supplémentaire pas toujours subventionnée par les autorités selon lui. Les Canards en colère demandent désormais l’indemnisation des éleveurs le plus rapidement possible. Ils menacent d’organiser de "gros blocages" pour se faire entendre : "On va empêcher les importations de nous noyer sur le marché. Il est hors de question qu’on laisse importer de la marchandise alors que nous ne pouvons pas produire."