Tous les matins, à 8 heures, Marion clique sur la même application. Veepee s’ouvre et elle découvre les nouvelles marques du jour. L'une d'entre elles, un géant de la téléphonie, a décroché le Saint Graal, la fameuse "Carte rose" du jour : pour tout achat d’une tablette, la marque en offre une seconde. Les visuels sont alléchants, les promos qui défilent aussi. Sur le côté, la date de la fin de la vente. Si elle veut mettre la main sur ce sac à bandoulière en cuir ou ce jean droit taille haute, la jeune femme devra vite se décider.
Depuis 2001, Veepee met en vente des produits à prix cassé tout au long de l’année. Des fins de collections ou des anciennes collections, remises au goût du jour plusieurs mois, voire plusieurs années plus tard, grâce à ces plateformes. Depuis, de nombreuses plateformes ont émergé, notamment dans des secteurs très ciblés comme le sport, la petite enfance, les voyages et la cosmétique.
De nouvelles habitudes d’achat en 2022
Les chiffres se bousculent : -51%, -62%, -20%, -75%... Mais cela suffit-il à déclencher l’achat ? "Les ventes privées boostent le pouvoir d’achat", explique Stephan Ploujoux. "C’est notre ADN", avoue le directeur commercial de Showroomprive.com, qui est satisfait : les sites Showroomprive.com, The Bradery et Beauté Privée sont en croissance. Ils recensent aujourd’hui 20 millions d’inscrits. "Les clients veulent des prix, des marques notoires et puissantes, avec un fort indice de désirabilité", détaille-t-il. "Les offres sont éphémères, donc elles doivent être incroyables."
Pourquoi le marché de la vente privée n’est-il pas touché par l’inflation ? "Nous ne proposons pas des produits de première nécessité, mais des achats plaisir", rappelle le directeur commercial de Showroomprive. Des achats plaisir, mais de "bonnes affaires" avant tout, et ce sentiment de ne pas pouvoir les trouver chez le commerçant d'à côté qui pousse à cliquer sur le bouton "Acheter".
Mais sur le marché de la consommation, la concurrence est de plus en plus rude. Mi-novembre, la France vivait à l’heure du Black Friday et du 11/11, la fête des célibataires en Chine. Le "Cyber Monday" terminé, les magasins se sont eux aussi mis à l’heure des fêtes. Dans les vitrines, des guirlandes, des lumières et… des promos. Des réductions à gogo qui ornent les devantures pour attirer les acheteurs en quête du cadeau parfait à glisser sous le sapin. Alors, les acheteurs ne savent plus où donner de la tête.
"J'ai anticipé mon budget cadeaux de Noël pour le Black Friday", explique Manon, 28 ans, à Europe 1 qui l'a rencontrée devant une boutique de cosmétiques rue Saint-Ferréol, à Marseille. "J'ai trouvé des promotions vraiment intéressantes en ligne et dans les magasins" À Paris aussi, les achats physiques ont la côte. "J'achète principalement sur les sites des enseignes", confie Roxane, 32 ans, à la sortie d'une boutique de thé dans le Marais. "Je n'ai pas trop le temps d'aller en magasin. Mais je ne vais jamais sur les plateformes de ventes privées, car ils n'ont pas ce que je recherche."
Dominique, 68 ans, a boudé le Black Friday. Et pour Noël, cette habituée des ventes privées a préféré faire ses cadeaux... en magasin. "Le problème est que le délai de livraison est très long, on ne sait jamais quand on va recevoir nos achats", déplore-t-elle. "Je n'ai pas confiance", ajoute-t-elle, concédant toutefois que les promotions sont "très attractives", allant "de -40% à 70%".
Les commerçants à l’heure du Black Friday
Si les sites de ventes privées ont fait de la réduction son cheval de bataille, dans les magasins aussi, on s'est adapté à l'attente du consommateur à l'approche de Noël. "Les clients achètent, mais à petit budget", explique Lucile, responsable du magasin Jules aux Halles, à Paris. La marque de prêt-à-porter pour hommes propose -50% sur le deuxième article... jusqu'au 26 décembre. "L'offre fonctionne très bien", assure-t-elle. "Les gens achètent systématiquement une écharpe et le bonnet qui va avec, ils peuvent se faire plaisir. On vendrait moins sans promotions."
Et la fréquentation de sa boutique témoigne de cette attractivité : "Les gens préfèrent venir en magasin plutôt que d'acheter en ligne, ils sortent de deux années de Covid et ça se ressent ! On sent que le pouvoir d'achat a baissé, mais nos résultats avoisinent ceux de 2021."
Dans cette boutique de bijoux située à quelques pas de là, Sarah se réjouit : les résultats sont au-dessus des objectifs. "Nous avons dépassé notre objectif", se réjouit la manager. "Nous n'avons pas du tout senti l'inflation. Je crois que le coronavirus a porté nos ventes ! (rires) " Et pour Noël, son magasin ne propose aucune réduction, mais les clients sont là. "Il est vrai que les gens aiment beaucoup acheter en ligne, mais les achats en magasin restent majoritaires", confie-t-elle à Europe 1. Comme de nombreuses enseignes, elle a sorti le grand jeu pour le Black Friday cette année, mais ne cache pas sa déception. "Nous avons fait -1000 euros sur cette période", déplore Sarah. "On vend mieux pendant les soldes."
Si de nombreux consommateurs ont préféré le Black Friday aux ventes privées, Stéphan Ploujoux assure que Showroomprive était pourtant au rendez-vous. "Nous y étions préparés", assure-t-il. Alors le marchand a encore plus cassé les prix. "Pour répondre à cet intérêt nouveau et être attractifs sur le marché, nous avons demandé un effort supplémentaire à nos marques partenaires." Si les marques jouent le jeu, c’est aussi pour bénéficier de la visibilité dont elles jouissent en apparaissant sur les plateformes de ventes privées.
Une hausse de 7,3% du panier moyen
La recette est-elle fructueuse ? Showroomprive annonce de bons résultats en Bourse. "La machine fonctionne bien. Notre entreprise a enregistré une hausse de 7% au troisième trimestre. On arrive à émerger en dépit de ce contexte de crise économique." Le 20 octobre dernier, le groupe annonçait une hausse de 7,3% du panier moyen.
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Le marché en 2023 ? Showroomprive ne tire pas de plans sur la comète. "Le monde évolue très vite", souligne Stephan, évoquant l’inflation, le coronavirus et la guerre en Ukraine. "Nous espérons un contexte de stabilité, avec une disponibilité des stocks et une volonté des marques de faire des opérations de promotions. Le contexte est toujours tendu avec le pouvoir d’achat, donc les Français reportent leur budget sur les bonnes affaires." Et d'estimer, avec optimisme : "Nous sommes au bon croisement."
La chasse aux promotions ne devrait pas faiblir dans les mois à venir : l'inflation pourrait atteindre 8% au quatrième trimestre dans les grands pays développés et émergents du G20, avant de retomber à 5,5% en 2023 et 2024, selon l'OCDE. De quoi pousser les consommateurs à surveiller d’encore plus près leur portefeuille.