Meetings sans pupitre, dédoublement en hologramme, direct de cinq heures sur Youtube pour présenter le chiffrage de son programme : Jean-Luc Mélenchon affectionne les idées originales… sauf en matière de politique économique. Le candidat de la "France insoumise" à l’élection présidentielle opte en effet pour un plan de relance keynésien par la demande très classique et sans mesure marquante.
Commandes d’investissements. Dans le détail, Jean-Luc Mélenchon souhaite mettre en place un plan de relance de 102 milliards d’euros sur cinq ans, financé par un emprunt. Les dépenses, sous forme de commandes d’investissements, seront ciblées sur "l’urgence sociale" (45 milliards d’euros dont 18 milliards pour le logement), "l’urgence écologique" (50 milliards d’euros dont 25 milliards pour le développement des énergies renouvelables) et les services publics (7 milliards d’euros). A cela s’ajoute une hausse des dépenses publiques progressive jusqu'à atteindre 173 milliards d’euros en 2022, trouvés en supprimant le pacte de responsabilité et en luttant contre la fraude fiscale.
Augmenter les salaires à terme. Objectif de ce plan de relance : engendrer le fameux "cercle vertueux" tant convoité par les responsables politiques. En dédiant un volet de son programme aux ménages et un autre aux entreprises vertes, Jean-Luc Mélenchon entend créer une dynamique de confiance. Aidées par l’État, les entreprises se sentent plus libres d’investir et d’embaucher, tandis que de leur côté, les ménages consomment plus. Résultat, les carnets de commande des entreprises se remplissent, l’activité repart et à terme, les salaires augmentent. De nouveau, le pouvoir d’achat des ménages bénéficie d’un coup de boost, etc.
"Remettre en route l’activité". C’est également dans ce cadre que s’inscrit l’augmentation du Smic net de 15% voulue par Jean-Luc Mélenchon, à 1.326 euros par mois (contre 1.153 actuellement). Une augmentation qui coûtera 7,3 milliards d’euros par an, pour environ 3,5 millions de bénéficiaires du Smic en France. Idem pour la baisse de l’impôt sur les sociétés de 33 à 25%. Ces deux mesures doivent pousser les ménages à consommer et les entreprises à investir pour "remettre en route l’activité", selon les mots du candidat.
Nous augmenterons les salaires ! Voilà pourquoi. Voilà comment. Partagez ! #JLMChiffragepic.twitter.com/nvH1z1Ofhq
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) 19 février 2017
Après 2018, tout ira mieux. Les différentes mesures de relance par la demande proposées par Jean-Luc Mélenchon coûteront cher, il ne s’en cache d’ailleurs pas. Il prévoit un déficit public de 4,8% du PIB en 2018 (contre 3,3% en 2016), le temps, selon lui, que le cycle s’enclenche. Résultat, le candidat de la "France insoumise" anticipe rapidement 190 milliards d’euros de recettes supplémentaires, une croissance de plus de 2%, un chômage à 6% et une inflation supérieure à 4%. Ceci grâce à "un surcroît d’activité de 150 milliards d’euros par an", assure Liêm Hoang-Ngoc, économiste qui a élaboré le programme de Jean-Luc Mélenchon, à Europe 1.
Ce dispositif de relance budgétaire est très classique. La relance keynésienne est une mesure phare des politiques économiques de l’après Seconde Guerre mondiale. En France, de tels plans ont déjà été mis en place en 1975 et 1981. Plus récemment, la Corée du Sud et le Japon ont abandonné l’austérité au profit de dépenses publiques accrues. Après leurs élections respectives, Theresa May au Royaume-Uni et Donald Trump aux États-Unis ont également annoncé leur intention de relancer l’activité économique par l’expansion budgétaire. "La particularité de notre plan, c’est la planification écologique. Nous revendiquons un keynésianisme vert, pragmatique", soutient Liêm Hoang-Ngoc.
Le FMI d'accord avec Mélenchon ! Plus étonnant encore, Jean-Luc Mélenchon présente une convergence idéologique avec… le FMI ! Depuis l’été dernier, l’institution financière internationale prône, en effet, la relance budgétaire pour les États qui en ont les moyens. Longtemps chantre de l’austérité, le FMI a adouci ses recommandations économiques après avoir fait le constat de l’échec des politiques monétaires menées depuis 2010 dans de nombreux pays développés. Hasard de ce revirement, alors qu’il critiquait vertement l’attitude du FMI ces dernières années, envers la Grèce notamment, Jean-Luc Mélenchon se retrouve donc aujourd’hui en accord théorique indirect avec l’institution. "Ça fait longtemps que l'on réclame la fin de l'austérité. Que le FMI ait changé son fusil d'épaule est positif", commente Liêm Hoang-Ngoc.
La clarté avant tout. Surtout, Jean-Luc Mélenchon, infatigable tribun et ardent critique du conformisme de ses adversaires, ne se démarque pas par une grande mesure économique révolutionnaire. Benoît Hamon a son revenu universel, François Fillon ses réductions de fonctionnaires, Marine Le Pen sa monnaie commune et même Yannick Jadot va plus loin que lui avec un Smic brut à 1.800 euros, soit 1.400 net.
En réalité, en proposant un plan de relance budgétaire classique, Jean-Luc Mélenchon cherche à être le plus clair possible et éviter ainsi les interminables débats sur le coût et l’application de son programme économique. L’exemple de Benoît Hamon, obligé de réexpliquer les contours de son revenu universel à chaque intervention télévisée a sûrement marqué le candidat de la "France insoumise". En présentant un chiffrage détaillé point par point pendant cinq heures, Jean-Luc Mélenchon a tenu à être le plus transparent possible.
Le défaut de la simplicité. Sauf qu’à vouloir être compris par le plus grand nombre, Jean-Luc Mélenchon et les économistes qui l’ont aidé ont peut-être trop simplifié le plan. Dimanche sur Youtube, le candidat de la "France insoumise" a assuré que son plan "rapporterait plus qu’il ne coûterait", soutenu par l’économiste Jacques Généreux, qui a participé à l’élaboration du programme : "comme l’indique le FMI, un euro d’argent public investi génère deux à trois euros d’activité et de recettes publiques".
Doute sur les chiffres. Mais ce multiplicateur de 2 ou 3 est-il le bon chiffre ? Selon Liêm Hoang-Ngoc, "le plan prend en compte un coefficient multiplicateur de 1,4, dans la fourchette de la zone euro qui va de 0,9 à 1,7". Sauf que Jean-Luc Mélenchon ne cesse de mentionner le chiffre du FMI, comme sur BFMTV le 12 février : "Christine Lagarde, la directrice du FMI (…) dit elle-même que pour un euro investi de cette façon, ce sont trois euros d’activité. Donc 100 milliards = 300 milliards d’activité."
Ces hésitations jettent le doute sur la viabilité du programme car la question du niveau du multiplicateur est cruciale. "S’il est de un au lieu de trois, ça change tout : les recettes sont moins importantes que prévues et cela se répercute sur le déficit public du pays", assure Xavier Timbeau, directeur de l’OFCE. "Le coefficient de 2 à 3 est valable seulement dans les pays en crise profonde", précise l’économiste. Or, la France n’est plus vraiment un pays en crise, "la situation de 2008-2009 étant désormais derrière nous".
La France n’est pas isolée. Surtout, Jean-Luc Mélenchon et son équipe ont oublié un peu vite que la France n’est pas coupée de ses voisins. "Si nous sommes les seuls à faire de la relance budgétaire en Europe, alors ses effets bénéfiques seront en partie absorbés par nos voisins, exactement comme en 1981", prévient Xavier Timbeau. "Nous avons un taux d’importation de 30 à 40%, ce qui implique qu’une partie équivalente de la consommation imputable à cette relance ira dans les importations et donc à l’étranger". Dans une économie ouverte comme la nôtre, l’argent investi par l’État n’alimente pas mécaniquement l’activité nationale mais se répartit de manière diffuse. Mais Liêm Hoang-Ngoc l’assure : "nos prévisions de croissance tiennent compte des fuites vers l’étranger".