Mardi matin, Français et Anglais se sont livrés à une petite bataille navale au large de la baie de Seine. Sur les vidéos qui ont fait le tour des médias, les pêcheurs se lancent insultes et procèdent à des manœuvres dangereuses, au point de percer quelques coques de navires. Cet accrochage très musclé est en fait l'acmé d'un conflit vieux de 15 ans pour le partage des coquilles Saint-Jacques au large du littoral normand. Deux jours plus tard, la tension persiste et les politiques se sont invités à la table. Même Bruxelles s'en est mêlé.
Des calendriers de pêche différents. Si le Royaume-Uni et la France font partie de l'Union européenne, les règles au sujet de la pêche de la coquille Saint-Jacques diffèrent entre les deux pays. Les pêcheurs normands n'ont en effet le droit d'exploiter le mollusque que du 1er octobre au 15 mai pour une exploitation "responsable" avance le site Normandie Fraîcheur Mer. "Cette pêche artisanale est très réglementée, tant pour la durée de pêche, le matériel de pêche que la quantité des captures" et ses dates restrictives "permettent de favoriser la reproduction en période estivale", y est-il expliqué. La pêche des Britanniques n'est, elle, pas réglementée dans le temps.
"Pour les Britanniques, c'est open bar : ils pêchent quand ils veulent, où ils veulent et autant qu'ils veulent", a notamment dénoncé mardi Dimitri Rogoff, président du comité régional des pêches de Normandie. "On ne veut pas les empêcher de pêcher. Mais qu'ils attendent au moins le 1er octobre pour qu'on partage ça ensemble !", réclame ce responsable, qui avance que 70 bateaux britanniques et irlandais pêchent la coquille au large des côtes françaises.
La différence de flottille vient aussi attiser le conflit. Alors que les Normands exercent une pêche artisanale à bord de 300 bateaux d'une quinzaine de mètres, leurs homologues britanniques sont passés à une échelle industrielle pour exploiter la célèbre coquille bivalve. Ils sillonnent ainsi la Manche avec des navires de plus de 30 mètres, dont un a la capacité de surgeler sa cargaison.
Cela fait 15 ans que le conflit traîne en longueur. Depuis 2012, les autorités des deux pays étaient parvenues à un accord afin d'apaiser les tensions. Mais cette année, elles ne sont pas parvenues à s'entendre.
La Commission européenne appelle à un accord à l'amiable. L'accrochage de mardi a poussé Bruxelles à s'exprimer. La zone de pêche en question est réglementée "au niveau national, et ces dernières années des mesures communes de gestion ont été convenues entre la France, le Royaume-Uni et l'Irlande", a rappelé un porte-parole Daniel Rosario, lors du point de presse quotidien de la Commission européenne.
"Nous invitons les autorités nationales à résoudre tout conflit à l'amiable de même que cela a été le cas dans le passé", a-t-il ajouté.
Une pêche britannique "irresponsable", dénonce un député français. En France, c'est le député communiste de Seine-Maritime, Sébastien Jumel, qui a appelé à son tour à un règlement rapide du conflit. Il a prié mercredi le gouvernement de "rechercher de manière urgente l'adoption de règles communes à tous les professionnels français et étrangers qui pratiquent la pêche à la coquille Saint-Jacques".
"Nos pêcheurs français ont mis en place des méthodes de pêche artisanale afin de respecter la ressource. Mais ils se trouvent de plus en plus confrontés à des navires de pêche battant pavillons anglais, dont certains mesurent plus de 30 mètres, et qui pratiquent une pêche industrielle massive et irresponsable, érodant dangereusement les ressources de la mer", a dénoncé l'élu normand dans un courrier adressé au ministre de l'Agriculture Stéphane Travert.
"C'est de la piraterie" pour les pêcheurs anglais. De leur côté, les pêcheurs anglais condamnent avec force le comportement de leurs collègues d'outre-Manche. Ils réclament désormais la protection de la Royal Navy pour exercer leur travail en toute sécurité. "Ils nous ont lancés des projectiles et ils lançaient des pierres dans les hélices", relate au micro d'Europe 1 Axel Passmore qui était sur la zone d'accrochage mardi matin. "C'est de la piraterie", dénonce-t-il. "Mais le pire, c'est qu'il y avait des vaisseaux de la marine française qui ont assisté à ce qui se passait et ils n'ont rien fait. Nous avons tous été très choqués".
La classe politique britannique s'est mêlée elle aussi au conflit. Sheryll Murray, députée conservatrice de la région côtière des Cornouailles a dénoncé les pêcheurs français qui exercent selon elle leur propre loi et a appelé Paris à rétablir l'ordre. "Ces pêcheurs étaient en train de travailler pour gagner honnêtement leur vie et c'est absolument inacceptable que des pêcheurs issus d'autres pays membres (de l'Union européenne, ndlr) puissent lancer des missiles tels que des pierres ou des pièces en métal, puissent allumer des fumigènes et puissent mettre en danger la vie de ces pêcheurs", s'est-elle insurgée sur la BBC. Au Royaume-Uni, l'exploitation de la coquille Saint-Jacques représente 1.200 emplois et rapporte 130 millions d'euros chaque année.
Le Brexit, une issue au litige ? La solution au litige pourrait venir du Brexit, notamment s'il est dur. "Normalement, après le 29 mars 2019, ils seront considérés comme un pays tiers et n'auront plus accès à ces zones-là", avance ainsi Dimitri Rogoff, président du comité des pêches de Normandie.
"Les choses ne sont pas si simples", a cependant prévenu Sébastien Jumel. "Aujourd'hui, les pêcheurs du nord de la France réalisent 40% de leur pêche annuelle dans les eaux britanniques. Il ne faudrait pas que la pêche soit la grande perdante du Brexit", a-t-il rappelé.
La pêche, un secteur vital pour la Normandie. La pêche représente un secteur économique vital pour la Normandie : 24.000 emplois directs et indirects et environ 160 millions d'euros généras par an. Grâce à ses fonds sableux peu profonds, la région est notamment la première de France en ce qui concerne la production de coquillages, avec 15.000 tonnes de coquilles Saint-Jacques pêchées par an ainsi que 8.000 tonnes de bulots et 4.100 tonnes de moules de pêche. Les coquillages représentent en tout 50% des captures de l'ensemble des bateaux de pêche normands.