Le couple que forment Renault et l’Etat français traverse une période difficile. Passablement irrité que le gouvernement ait décidé de monter temporairement dans le capital de l’entreprise pour mieux se faire entendre, le PDG du groupe Renault-Nissan Carlos Ghosn a convoqué une réunion d'urgence de son conseil d'administration pour vendredi. Un rendez-vous qui promet de nouvelles frictions et rajoute un nouveau chapitre à ce qui ressemble de plus en plus à un feuilleton.
Déjà des frictions sous Sarkozy. Ancienne entreprise d’Etat, Renault a toujours eu un statut à part pour la France, qui est encore aujourd’hui son premier actionnaire. Carlos Ghosn a donc déjà eu plusieurs échanges musclés avec les gouvernements successifs, et notamment sous la présidence Sarkozy. Le bras de fer sur la production de la Clio IV, que le constructeur a été soupçonné de vouloir délocaliser en Turquie en est une illustration. Une annonce mal venue alors que l’Etat français a soutenu Renault lors de la crise de 2008, ce que le gouvernement Fillon ne manque alors pas de rappeler. Carlos Ghosn est ainsi été convoqué à l’Elysée en janvier 2010 pour lui faire passer le message, rendez-vous au cours duquel le gouvernement menace d’exiger les six postes au conseil d'administration auquel il a droit.
La fausse affaire d’espionnage qui éclate début 2011 n’arrange pas la situation : les trois salariés accusés à tort par la direction sont rapidement blanchis et Carlos Ghosn sommé de s’excuser. "Je trouve anormal qu'une immense entreprise comme celle-ci ait basculé dans un amateurisme et une affaire de bibi-fricotin et de barbouze de troisième division. On ne pourra pas laisser ça sans suite", critique alors le porte-parole du gouvernement, François Baroin.
La présidence Hollande débute mal. Changement d’équipe courant 2012 mais les tensions sont toujours là : les relations entre Carlos Ghosn et la présidence Hollande se compliquent dès le début de l’année 2013. Rattrapé par la crise et la fin de la prime à la casse, le constructeur français est alors en plein marasme : ses ventes reculent et le groupe annonce un gel des salaires ainsi qu’une réduction d’effectifs. Cette menace sur l’emploi est à l’origine de la première passe d’armes entre le gouvernement et Carlos Ghosn.
En février 2013, Arnaud Montebourg – alors ministre de l’Industrie – dénonce cette stratégie qui consiste à supprimer des emplois. "Nous avons dit aux partenaires sociaux chez Renault : 'trouvez d'autres solutions que cette préférence permanente en France pour le licenciement. (....) Et j'ai dit : il est normal qu'il y ait un effort qui soit commun", déclare le ministre sur Europe 1. Et ce dernier de pointer le salaire de Carlos Ghosn, qui a alors bondi de près de 30% : "Dans la mesure où il demande un gel des salaires pour 2013 aux salariés de Renault, c'était bien le minimum qu'il le fasse lui-même". Une sortie pas vraiment appréciée par l'intéressé.
Un salaire plusieurs fois brocardé. En mars 2013, la direction de Renault conclut un accord de compétitivité avec les organisations syndicales qui prévoit une augmentation de 6,5% du temps de travail pour un salaire inchangé. Le gouvernement ne tarde pas à relancer le dossier de la rémunération de Carlos Ghosn. "Monsieur Ghosn, qui gagne beaucoup d'argent, avait dit, si je ne m'abuse, que si cet accord était signé, il ferait un sacrifice sur sa rémunération. On l'attend. Monsieur Ghosn doit faire ce geste", martèle alors le ministre de l’Economie Pierre Moscovici.
Le vote double, nouvelle source de tensions. Décidé à redonner du pouvoir à l’Etat actionnaire pour éviter que des sites rentables ne ferment pour des raisons uniquement financière, le gouvernement fait voter la loi Florange. Concrètement, cela permet à un actionnaire présent depuis plus de deux ans dans le capital d'une entreprise d'avoir plus de pouvoir : lors des assemblées générales, les votes de ces "vieux actionnaires" comptent double.
Sauf que la direction de Renault n’en veut pas et fera tout pour l’empêcher, cette possibilité devant être validée en assemblée générale. En vain : le gouvernement arrive à ses fins en avril 2015, ce qui irrite sensiblement Carlos Ghosn. Ce dernier rouvre ce dossier en octobre en évoquant la possibilité que Nissan pèse davantage dans le capital de son partenaire français pour contrer l'influence renforcée de l'Etat français.
La réponse du gouvernement ne tarde pas, par la voix d’Emmanuel Macron. "L'Etat n'est pas un actionnaire naïf, de seconde catégorie. L'Etat est un investisseur de long terme, exigeant", prévient-il dans un entretien aux Echos. Quant à la participation de Renault dans Nissan, "c'est un sujet d'actionnaire, qui ne relève pas d'un comité exécutif et qui ne saurait être prisonnier des problèmes d'ego. Ceux qui proposent un rééquilibrage des pouvoirs avec un agenda caché prennent le risque d'abîmer l'alliance", tacle le ministre de l’Economie. Et ce dernier d’ajouter que Carlos Ghosn "est PDG, pas actionnaire, de même que je représente l'actionnaire et n'ai pas vocation à interférer dans la gestion de l'entreprise. Quand les uns veulent faire le métier des autres, cela ne donne jamais de bons résultats".
Ghosn accusé de "contre-vérités sur ce que fait l'Etat". Le climat ne s’est pas amélioré depuis : mardi, on apprenait que Renault convoquait une réunion d'urgence de son conseil d'administration - la troisième depuis le début de l'année - pour discuter de l'évolution future de son alliance avec Nissan. Une réunion qui n’était pas prévue et dont l'ordre du jour n'a pas encore été communiqué mais a priori, les relations entre Renault et son principal actionnaire devraient être au menu. Jeudi, c'était au tour des administrateurs indépendants de l'entreprise de sortir du silence pour dénoncer le comportement de l'Etat français : à leurs yeux, les droits de vote double risquent de "déstabiliser" l'alliance avec Nissan.
Vendredi, Emmanuel Macron a riposté en accusant la direction de Renault de présenter les faits de manière biaisée. "On doit d'abord la vérité à nos concitoyens (et) aux salariés de l'entreprise: l'Etat est à leurs côtés pour soutenir la stratégie du groupe, et je ne laisserai jamais mettre l'Etat en fragilité, jamais considérer l'Etat comme un actionnaire au rabais, ou jamais laisser dire des contre-vérités sur ce que fait l'Etat", a affirmé le ministre lors d'un déplacement à Rennesgou.