Un an après son entrée au gouvernement pour gérer l'impact de la crise sanitaire sur les PME, le ministre Alain Griset est renvoyé le 22 septembre devant le tribunal correctionnel de Paris, une décision rarissime pour un ministre en exercice, pour des déclarations de patrimoine et d'intérêts incomplètes.
Parmi la demi-douzaine de membres du gouvernement aux prises avec des enquêtes judiciaires, Alain Griset, 68 ans, est le premier à être convoqué devant un tribunal correctionnel. Cette décision pourrait mettre en cause son avenir au sein du gouvernement.
"Confusion des patrimoines"
L'AFP a appris jeudi auprès du parquet de Paris que le ministre serait cité à comparaître le 22 septembre pour "déclaration incomplète ou mensongère de sa situation patrimoniale" et "de ses intérêts" par un membre du gouvernement. Sollicité par l’AFP, l’entourage d'Alain Griset a indiqué qu’il ne ferait aucun commentaire.
La Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), auprès de qui les membres du gouvernement doivent déclarer leur patrimoine, avait annoncé saisir la justice le 24 novembre du cas d'Alain Griset, celui-ci ayant omis de déclarer "des participations financières détenues dans un plan d'épargne en actions (PEA), ainsi que le compte espèces associé, pour un montant total de 171.000 euros".
Les fonds concernés, selon une source proche du dossier, proviennent du bureau de la Confédération nationale de l'artisanat des métiers et des services (CNAMS) du Nord, qui avait confié en 2019 quelque 130.000 euros à Alain Griset, son président d'alors, pour qu'il les place sur son PEA.
"Alain Griset a dit à la Haute autorité qu'il avait l'accord de la CNAMS, pour qu'il puisse faire fructifier cette somme, mais alors on est dans la confusion des patrimoines, ce qui n'est pas conforme à la loi", avait relevé le président de la HATVP Didier Migaud, interrogé par l'AFP.
"Maladresse"
Cette omission avait pour but "d'empêcher la révélation de faits susceptibles de recevoir la qualification pénale d'abus de confiance", avait estimé la HATVP au sujet de l'origine des fonds.
Tracfin, la cellule anti-blanchiment de Bercy, là même où exerce le ministre, avait effectué en parallèle un signalement au parquet de Lille qui avait ouvert une enquête pour "abus de confiance", toujours en cours. La somme avait été remboursée, peu après son entrée au gouvernement, par le ministre, artisan-taxi pendant plus de 30 ans jusqu'en 2016.
"J'ai fait preuve d'honnêteté", s'était défendu le ministre lors de la révélation des faits, affirmant avoir "apporté des éléments de clarification à la Haute autorité". Son entourage avait plaidé une "maladresse", sans "volonté d'enrichissement personnel".
Début février, le logement de fonction à Bercy d'Alain Griset avait été perquisitionné.
Autorité indépendante créée en 2013 après le scandale Cahuzac au début du quinquennat Hollande, la HATVP contrôle le patrimoine et les déclarations d'intérêts de près de 15.000 responsables publics, ministres, élus et hauts fonctionnaires. Elle peut saisir la justice si elle décèle une intention frauduleuse ou une omission substantielle.
Tourmente judiciaire
Le tribunal correctionnel de Paris doit juger en outre en septembre trois autres figures politiques suspectées d'omissions de déclarations comparables, également signalées par la HATVP : l'ex-homme fort de la Polynésie, Gaston Flosse, l'ancien patron de la Martinique Alfred Marie-Jeanne et le député LR Bernard Brochand. Ce dernier sera en outre jugé pour "blanchiment de fraude fiscale".
Concernant deux autres ministres, la Haute autorité a en revanche considéré en juillet que les omissions de déclarations du garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti et de Roselyne Bachelot, à la Culture, "ne présentaient pas de caractère intentionnel ou substantiel" justifiant de saisir la justice.
L'annonce du procès contre le ministre des PME intervient deux semaines après celle des poursuites engagées le 16 juillet contre Eric Dupond-Moretti, mis en examen par des magistrats de la Cour de justice de la République pour "prise illégale d'intérêts". Ce dernier a exclu de démissionner et le Premier ministre Jean Castex lui a renouvelé "toute sa confiance".
Plusieurs membres du gouvernement ont démissionné depuis 2017 avant même une mise en examen ou la perspective d'un procès: le dernier départ en date est celui de Jean-Paul Delevoye, le "monsieur retraites", contraint de renoncer à son poste en décembre 2019 en plein conflit sur cette réforme phare. Le haut-commissaire avait reconnu ne pas avoir mentionné plusieurs activités parallèles dans sa déclaration d'intérêts transmise à la HATVP.
Les ministres Olivier Dussopt et Sébastien Lecornu font également l'objet d'enquêtes préliminaires à Paris tandis que le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin est visé par une enquête pour "viol".