Les chiffres donnent autant le tournis qu’une bière trappiste. Le numéro un mondial de la bière, le Belgo-Brésilien AB InBev, a annoncé jeudi qu’il allait bien racheter son concurrent, le numéro deux mondial SABMiller. Montant de l’opération : 112 milliards d'euros. Ce mariage doit permettre au futur groupe de peser davantage sur le marché de l’alcool et de réaliser de substancielles synergies. Mais cette fusion XXL change-t-elle quelque chose pour l’amateur de mousse ?
Quelles sont les marques concernées ? Avant d’explorer les conséquences possibles de la fusion, il est d’abord nécessaire de dresser un panorama des marques concernées, et elles sont nombreuses. Le groupe AB InBev englobe les marques Stella Artois, Leffe, Jupiler, Hoegaarden, Corona ou encore Becks, pour ne citer que celles qui sont commercialisées en France. En face, SAB Miller est propriétaire des marques Pilsner Urquell, Peroni, Grolsch, Foster’s ou encore Carling. Sans oublier des marques américaines peu présentes en Europe, Budweiser et Miller.
Autant dire que le futur groupe, même s’il va devoir vendre une partie de ses marques américaines pour éviter d’être en position trop dominante, sera incontournable. "Le nouveau groupe produira environ 29% de la bière à l'échelle mondiale", souligne Brenda Kelly, analyste pour London Capital Group.
Des conséquences avant tout industrielles. Cette fusion a d’abord pour objectif de permettre au groupe AB InBev de rester numéro un mondial. Ce dernier occupe déjà cette place mais il est installé sur des marchés qui stagnent : l’Amérique du Nord et l’Europe, où les buveurs réduisent leur consommation et se tournent vers des petites marques artisanales, voire locales. Son concurrent, SAB Miller, est, lui, surtout présent dans des zones où la consommation de bière explose : l’Afrique, l’Amérique du Sud et l’Asie. En mettant la main dessus, AB InBev sécurise donc son avenir et sa position de leader.
Sans oublier qu’une telle fusion présente de nombreux avantages. Fonctions administratives, locaux, sites de production et de stockage : les deux groupes vont pouvoir réaliser de nombreuses synergies. Des économies estimées à 1,3 milliard d’euros par an à partir de 2020 d’après les calculs d’AB InBev. Sans oublier une force de frappe commerciale jamais vue : il sera difficile pour les groupes de distribution d’engager un bras-de-fer avec ce géant pour obtenir de meilleurs prix et refuser d’intégrer telle ou telle marque dans son catalogue.
Mais aussi pour le consommateur. L’amateur de mousse pourrait penser que toutes ces opérations le dépassent et qu’il retrouvera sa bière préférée au comptoir ou dans les rayons de son supermarché, comme aujourd’hui. Sauf que ce serait un peu trop simple.
• Première conséquence de cette fusion : la concurrence va avoir du mal à suivre le rythme. A titre d’exemple, le futur géant va peser trois fois plus lourd que son suivant, le groupe Heineken, qui détient 9% de part de marché dans le monde. Ce dernier n’est pourtant pas un poids plume et détient les marques Amstel, Desperados, Affligem, Sagres, Sol. Le constat est le même pour Carlsberg, la maison mère des bières Kronenbourg et 1664, qui ne pèse "que" 6%. Si le futur géant décide de lancer une guerre des prix, la concurrence aura du mal à lutter. De même, si le nouveau poids lourd demande à la grande distribution de réserver davantage de place en rayon à ses bières, il sera difficile de le lui refuser. Bref, les marques du futur géant devraient être encore plus présentes en magasin et au comptoir.
• Bien que promis à une plus grande présence en rayon, le futur géant va disposer d’un catalogue de marques tellement riche qu’il ne pourra pas toutes les commercialiser dans tous les pays. Il va donc faire des choix et pourrait arrêter de vendre certaines marques devenues des doublons sur certains marchés.
• Autre conséquence de cette fusion, mise en avant par le site spécialisé Market Watch : la course à l’innovation risque de ralentir. Dans des marchés devenus matures comme l’Europe, il faut commercialiser de nouvelles bières et de nouveaux goûts pour séduire le consommateur. Mais avec un portefeuille de marques extra-large, le futur géant n’en aura pas forcément besoin : il lui suffira de commercialiser une marque étrangère qu’il détient pour apporter de la nouveauté en France sans pour autant innover. Ou alors racheter de nouvelles marques à des brasseurs qui auront, eux, fait le choix d’innover mais n’auront pas les moyens de développer à grande échelle leur trouvaille.
• Enfin, les petits brasseurs ont de quoi s’inquiéter. Ces derniers ont pourtant le vent en poupe en Europe, où les consommateurs délaissent les bières basiques pour se tourner vers les marques locales ou proposant un breuvage de meilleure qualité. Sauf que ces brasseries ne sont souvent pas assez solides pour détenir leur propre réseau de distribution : le plus souvent, elles concluent des accords avec les grands groupes pour utiliser leur réseau de distribution. Le rapport de forces entre ces petits brasseurs et le futur poids lourd vont être encore plus déséquilibrés. Et en cas de désaccord, certaines petites marques pourraient disparaitre de nombreux rayons.