Et si l’avenir de l’agriculture se jouait… dans les airs ? Depuis quelques années, les exploitants agricoles ont effet la possibilité d’analyser leurs parcelles à l’aide d’un drone. Surtout connus pour leurs fonctions de loisir, les drones possèdent de nombreuses applications professionnelles, y compris dans le domaine agricole.
Analyse scientifique. En France, une poignée d’entreprises proposent à des agriculteurs de survoler leur champ pour déterminer la santé des plantes ou les besoins en engrais. L’analyse se fait à l’aide d’une caméra fixée sur le drone, capable de filmer en infrarouge et donc de déceler la "vraie couleur" des plantes, correspondant à son niveau d’azote et de chlorophylle. Des informations précieuses pour les céréaliers qui, jusqu’ici, n’étaient disponibles qu’en prélevant manuellement des échantillons. Grâce à ces relevés de haute précision, ils peuvent déterminer plus efficacement les besoins nutritionnels des plantes. Pour l’instant, il est possible d’analyser uniquement les grandes cultures (céréales, oléagineux, protéagineux), et un peu les vignes.
Technologie accessible. Au fil des ans, la technologie s’est répandue dans des milliers d’exploitations françaises, curieuses ou pleinement convaincues de l’intérêt des drones pour l’optimisation de leur rendement. Michaël Godiet fait partie des "anciens". Cet agriculteur céréalier de la Marne utilise et opère lui-même un drone depuis trois ans. "Avant de reprendre l’exploitation que je gère aujourd’hui, je travaillais dans l’aéronautique. Donc je m’intéressais déjà aux drones avant d’être agriculteur", raconte ce quarantenaire. "Quand j’ai appris qu’on pouvait les utiliser pour l’analyse des champs, je n’ai pas hésité et j’ai essayé."
Possibilité de faire des tests. Après avoir suivi la formation et acheté le matériel nécessaire chez Airinov, entreprise française spécialisée dans les "agridrones", Michaël Godiet a directement survolé l’ensemble de son exploitation de 120 hectares. Un cas relativement rare : la majorité des agriculteurs qui essayent les drones le font sur une petite portion de leur champ. Ainsi, les opérateurs d’Airinov effectuent des survols de 20 hectares en moyenne.
C’est le cas de Guillaume Moisy, 30 ans, agriculteur dans le Vexin normand. Lui possède 350 hectares où se côtoient les grandes cultures : céréales, betterave sucrière, colza… "Chaque culture a ses propres spécificités et au sein même d’une parcelle, les besoins en engrais ne sont pas uniformes", explique-t-il. Il y a deux ans, il apprend dans la presse spécialisée que les drones permettent de moduler très précisément, à une dizaine de centimètres près si nécessaire. "Ayant une appétence pour les nouvelles technologies, j’ai contacté Airinov pour faire des essais sur quelques parcelles. Ça correspondait à ce que je cherchais", se rappelle Guillaume Moisy. Depuis, il augmente continuellement la surface couverte.
" Grâce à la précision des drones, j’ai déjà fait des économies sur les engrais "
Pas très cher pour les agriculteurs. Un simple test rendu possible par le coût relativement faible de l’opération : 10 à 15 euros par hectare chez Airinov. Les agriculteurs peuvent ainsi se rendre compte de l’intérêt concret des solutions offertes par les drones, sans se ruiner. Une condition sine qua non pour séduire les céréaliers, particulièrement fragiles financièrement depuis deux ans. L’entreprise travaille désormais avec 8.000 agriculteurs clients. Ceux qui souhaitent aller plus loin peuvent ensuite devenir opérateur de drones, comme Michaël Godiet et Guillaume Moisy : ils achètent le pack complet (5.000 ou 10.000 euros selon le modèle de drone), sont formés et obtiennent une licence pour opérer chez leurs voisins. Airinov compte 60 opérateurs à son compte en France.
Retour sur investissement. Qu’ils effectuent eux-mêmes le survol complet de leur champ ou qu’ils le délèguent aux entreprises spécialisées, l’utilisation des drones représente tout de même une dépense conséquente pour les agriculteurs. "C’est sûr que c’est un coût", confirme Guillaume Moisy. "Mais, pour moi, c’est un faux coût puisqu’il y a un vrai retour sur investissement", nuance-t-il. "J’ai des parcelles hétérogènes donc mes besoins en engrais varient énormément sur des périmètres restreints. Grâce à la précision des drones, j’ai déjà fait des économies non-négligeables sur les produits que je répands." En réalité, le gain pour les céréaliers n’est pas uniquement économique.
Céréales de meilleure qualité. En trois ans, Michaël Godiet a eu le temps d’observer ce qu’a changé l’utilisation d’un drone au-dessus de son exploitation. "Le drone, c’est l’assurance d’avoir un rendement optimisé. Si je compare avec l’épandage de doses moyennes, le gain de l’épandage ciblé porte sur la quantité produite et surtout sur la qualité des céréales", précise l’agriculteur marnais. Une première étude menée dans l’Ouest de la France par la coopérative OCEALIA a montré que les grains traités suite à une analyse par drone sont plus riches en protéine. Le rendement des récoltes concernées a augmenté de 10% en 2015 et la marge des exploitants a grimpé de 320 euros par hectare sur trois ans.
Pas une solution miracle. Néanmoins, malgré tous ces avantages, les "agridrones" se heurtent encore à un obstacle de taille : la météo. Face aux aléas climatiques, les engins volants n’offrent guère de solution. "Le potentiel du drone est pertinent jusqu’au dernier moment. Mais si derrière la météo détériore la floraison et la qualité des grains, alors oui, le travail réalisé en amont est rendu caduc dans l’immédiat", admet Michaël Godiet.
" Depuis quatre ans, les drones se démocratisent chez les agriculteurs "
Cependant, selon l’agriculteur, les drones peuvent aider les exploitants à rebondir en cas de coup dur : "L’année 2016 a été catastrophique pour beaucoup de céréaliers. Mais les engrais épandus avant les pluies sont encore dans les sols. Si cela a été fait à l’aide d’un drone, alors la précision apportée à ce moment-là est encore présente et les plantes retrouveront de la vigueur plus vite".
Démocratiser les drones. Reste maintenant à convaincre plus largement les céréaliers d’essayer les drones agricoles. "Il faut que ça rentre dans les mœurs mais ça viendra. Il y a à peine quatre ans, l’emploi des drones était marginal. Aujourd’hui, ça commence à se démocratiser", assure Guillaume Moisy. "En tant qu’opérateur, je parle des drones à mes voisins, je fais des formations dans les lycées agricoles. Je sens un vrai intérêt de la part de toutes les générations d’agriculteurs", abonde Michaël Godiet. Il est d’ailleurs persuadé que d’ici 15 ans, le drone sera un outil comme un autre dans les hangars des exploitants.
Le business florissant des "agridrones"
La France étant à la fois un pays riche d’une vieille tradition agricole et un acteur de pointe sur le marché des drones, il n’y a rien de surprenant à ce que ce soient des entreprises françaises qui dominent ce marché très spécialisé dans l’Hexagone. Airinov, leader avec 10.000 survols réalisés en 2015 (80% du marché), propose ses services aux agriculteurs depuis 2011 et s’est positionnée plutôt sur les petites et moyennes exploitations.
Aussi sur les grandes surfaces. Le vide sur les grandes parcelles est comblé, notamment, par Delair Tech, société toulousaine également active dans l’industrie, l’énergie, la surveillance... Elle est la seule à proposer des vols hors de la vue du pilote, avec une portée de 100 kilomètres. Delair Tech peut ainsi collaborer avec des grandes entreprises agricoles, telles que Rémy Martin, grand producteur de cognac. En sept vols, son drone a couvert 10.000 hectares et livré une analyse complète des besoins des vignes.
Un marché énorme. Le potentiel du marché du drone agricole est énorme. Depuis 2015, Airinov a survolé 250.000 hectares de blé et de colza sur un total de cinq millions en France. Mais les possibilités ne s’arrêtent pas à nos frontières. Airinov vole déjà au-dessus du Royaume-Uni, de l’Allemagne et des Pays-Bas. Delair Tech se positionne sur les immenses exploitations fermières américaines et en Afrique. Atechsys Solution, une start-up varoise, remplit des missions dans les champs du Brésil et de la Côte d’Ivoire. Il y a de quoi faire : d’après une étude du cabinet PwC, le marché du drone agricole représentera 29 milliards d’euros en 2020.