Adopté au cœur de l’été, la loi Travail portée par Myriam El Khomri a été vivement contestée par les organisations syndicales sous bien des aspects. Mais il en est un qui a particulièrement cristallisé les débats : la réforme des licenciements économiques. Depuis le 1er décembre, une entreprise dispose de bien plus d’outils juridiques pour licencier sans craindre d’être poursuivie devant les prud’hommes. La preuve avec trois exemples.
Que dit exactement la loi en matière de licenciements économiques ?
L’article 67 de la loi Travail ajoute de nouveaux motifs jugés légitimes pour procéder à un licenciement économique :
- Des mutation technologiques.
- Une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité.
- La cessation d’activité de l’entreprise.
- Des difficultés économiques. Ces dernières sont "caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique telle qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés". La baisse de cet indicateur doit durer un certain temps, qui dépend de la taille de la société : un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés, deux trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés, trois trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés, quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus. Pour les entreprises qui font partie d’un grand groupe, le calcul de la baisse du chiffre d’affaires, du carnet de commande, etc., doit se faire au niveau du groupe.
Licenciement en raison d’une mutation technologique. Si les ruptures technologiques permettent à des entreprises de prendre leur essor et de s’inviter à la table des grands, elles sont aussi à l’origine de la chute des entreprises qui n’ont pas su s’adapter. La loi El Khomri fait donc d’une mutation technologique une raison légitime pour procéder à un licenciement économique. Prenons l’exemple d’une société qui emploie des géomètres experts, acteurs indispensables des secteurs de la construction ou de l’exploitation minière. L’arrivée des drones civils change totalement la donne dans ce métier puisqu’un tel appareil, associé à la puissance de calcul des ordinateurs, permet de réaliser le même travail mais avec moins d’employés et dans des délais plus courts. Même si elle se porte bien, l’entreprise peut alors invoquer une mutation technologique : son métier étant en train de connaître une mini-révolution, soit elle s’adapte, soit elle est vouée à disparaître. Elle pourra donc procéder à des licenciements économiques pour un motif désormais prévu par la loi et que le juge peut difficilement remettre en cause. Les employés licenciés auront donc moins de marges de manœuvres pour contester ce licenciement.
Licenciement en raison d’une baisse du chiffre d’affaires. Une baisse du carnet de commandes ou du chiffre d’affaires – pendant une durée qui dépend de la taille de l’entreprise – est désormais une raison valable pour procéder à un licenciement économique. Si cette réforme permet désormais à une entreprise de licencier avant qu’il ne soit trop tard et que son existence même soit menacée, elle va aussi faciliter les licenciements qui auraient été auparavant considérés comme discutables. Maître Judith Krivine, associé fondateur du cabinet d’avocats Dellien Associés, prend notamment "l’exemple d’une entreprise de nouvelles technologies". "Cette société lance avant Noël un nouveau téléphone ou autre chose, le produit cartonne si bien qu’elle réalise un très bon chiffre d’affaires. L’année d’après, la même entreprise n’a pas forcément l’intention de ressortir un nouveau produit au moment de Noël et préfère attendre quelques mois avant le lancement : le chiffre d’affaires en fin d’année sera inférieur à l’année précédente. Cela ne veut pas du tout dire que l’entreprise va moins bien mais avec le nouveau texte, l’entreprise dispose d'un motif qui sera automatiquement considéré comme valable", détaille-t-elle. Et Me Judith Krivine de regretter : "les entreprises pourront jouer sur le moment où elles sortent leur nouveaux produits pour faire plus de chiffres d’affaires à tel ou tel moment".
Licenciement pour sauvegarder la compétitivité. La loi El Khomri prévoit en outre qu’une entreprise menacée par la concurrence puisse licencier si cela lui permet de gagner en compétitivité et donc de mieux affronter ses rivaux. Cela pourrait par exemple être le cas d’une société qui produit des champignons séchés, une niche très réduite où les acteurs sont peu nombreux et se connaissent. Mais cet équilibre du marché est bouleversé par l’arrivée d’une nouvelle société originaire d'un pays en développement qui propose des produits similaires mais à des tarifs bien moins élevés. La PME française se doit de réagir : soit en montant en gamme, soit abaissant ses tarifs. Dans ce deuxième cas, elle peut par exemple décider de revoir de fond en comble son processus de production pour produire les mêmes volumes mais avec moins d’employés, voire acheter des robots pour automatiser certaines tâches. Invoquant une "réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité", l’entreprise peut licencier sans craindre une guérilla juridique devant les prud’hommes.