Lors du premier débat de l’élection présidentielle, lundi, les cinq "grands" candidats ont détaillé leur programme économique. Sans s’attarder sur la politique industrielle. Pourtant 75% des Français souhaitent que l’industrie soit "un des éléments majeurs" de la campagne, selon un sondage Opinionway de novembre dernier. C’est dans ce cadre électoral que se déroule la septième semaine de l’industrie (jusqu’au 24 mars), constituée de 2.400 actions locales visant à promouvoir ce secteur historique de l’économie française. Un message positif appuyé mardi par une action nationale de la CGT qui veut "mettre en avant des projets industriels montrant qu'il est possible de créer des emplois dans l'industrie".
Industrie sinistrée. Un optimisme qui contraste avec les dossiers industriels les plus médiatisés, nettement plus négatifs : Alstom Belfort, Whirlpool, Seita pour ne citer que les exemples récents. A chaque fois, industrie rime avec manque de compétitivité, délocalisation, fermeture d’usine et emplois détruits. Parfois, l’État s’empare du dossier, promettant la sauvegarde de l’emploi et le maintien de la production en France. Quitte à autoriser une nationalisation temporaire. Parmi les candidats à l’élection présidentielle, Jean-Luc Mélenchon, Benoît Hamon et Marine Le Pen estiment que cette mesure exceptionnelle est nécessaire pour préserver le savoir-faire industriel français.
Alors que les décisions de François Hollande sur les dossiers Alstom et Florange ont été contestées (80% des Français jugent qu’il a "délaissé" l’industrie durant son mandat) et que s’ouvre un quinquennat mené par un nouveau Président, la question de l’avenir de l’industrie française se pose. En 1970, elle représentait 22,3% du PIB national, 16,5% en 2000 et 11,2% en 2015. L’emploi suit la même courbe descendante : le secteur industriel employait 5,4 millions de personnes en 1970, 4,1 millions en 2000 et plus que 3,1 millions actuellement (-43% en 46 ans).
"Pas de fatalité". "L’industrie en France n’est pas condamnée. Mais elle est menacée", pose d’emblée Thierry Weil, délégué général du think tank La Fabrique de l'industrie et professeur au Centre d’économie industrielle de Mines ParisTech. Il défend cependant une analyse sectorielle et non pas globale, car toutes les industries ne sont pas la même situation. "Par rapport à nos concurrents industriels, nous avons une production moindre. Mais il n’y a pas de fatalité pour l’industrie française."
Tirer un trait sur certaines industries. Thierry Weil distingue d’abord les branches qui appartiennent déjà au passé. "Le gros de la désindustrialisation semble derrière nous. Les domaines qui ont sévèrement souffert de la concurrence internationale sont partis", explique ce spécialiste de l’industrie. C’est notamment le cas du textile bon marché, standard. La majorité des t-shirts sont désormais produits au Bangladesh, en Asie du sud-est ou en Turquie. "Plus globalement, on ne peut plus rivaliser pour la production des biens de commodité, pour lesquels le prix d’achat est le principal critère de choix", précise-t-il.
Manque de compétitivité. Vient ensuite le cœur du problème industriel français : les branches d’activité toujours présentes sur le territoire mais qui sont au bord du gouffre depuis des années. "Avec la mondialisation et le coût du travail élevé, on sait qu’il y a des secteurs dans lesquels la France n’est pas compétitive", pointe Christopher Dembik, chef économiste chez Saxo Banque. L’industrie lourde est particulièrement visée : la sidérurgie et la métallurgie françaises sont en danger. Impossible de résister à la concurrence et au dumping chinois dans ces secteurs.
Prudence toutefois : ce n’est pas parce qu’une industrie éprouve des difficultés qu’il faut l’abandonner. Certaines entreprises de secteurs stratégiques en souffrance valent parfois le coup d’être sauvées, estime Mathieu Plane, économiste à l’OFCE. Thierry Weil abonde : "Le meilleur exemple, c’est PSA. Il y a quatre ans, le groupe perdait un à deux milliards d’euros par an. L’État est entré au capital à hauteur de 14%, aux côté des chinois de Dongfeng. Aujourd'hui, PSA se porte très bien". Autre exemple de sauvetage réussi : Alstom. En 2004, l’État a volé au secours de ce fleuron français au bord de la faillite, par le biais d’une nationalisation temporaire. Deux ans plus tard, l’entreprise revenait dans le vert et l’État vendait ses parts avec une plus-value d’un milliard d’euros.
Définir une politique industrielle. Ce qui fait dire à Christopher Dembik qu’il faut que la France "se dote d’une politique industrielle clairement définie". Autrement dit, identifier, dans des domaines d’excellence et des secteurs stratégiques, des fleurons à aider lors d’éventuels passages à vide. "Le politique n’a jamais vraiment tranché cette question pourtant indispensable. Nous n’avons pas vocation à sauver tous les canards boiteux", juge l’économiste.
Miser sur le luxe et la high-tech. Mais le tableau n’est pas entièrement noir. Il existe aussi une industrie française qui marche bien, comme l’agroalimentaire (première branche industrielle en termes d’emploi et de valeur ajoutée) et la réparation et l’installation de machines et d’équipements. Des secteurs moins exposés à la concurrence internationale et qui se positionnent plus sur le marché national. On peut ajouter deux secteurs dans lesquels la France possède un savoir-faire historique et reconnu : le luxe et la high-tech. "Mais ces deux secteurs ne représentent que 12% du chiffre d’affaires de l’industrie. Il faut évidemment les aider à conserver une dynamique mais au final, leur apport est limité", relativise Thierry Weil. "Le luxe et la high-tech ne peuvent pas sauver l’ensemble de l’industrie française à eux seuls. Il ne faut donc pas se contenter d’aider ces secteurs à forte croissance."
" Les entreprises industrielles ont besoin de moderniser leurs sites de production "
Quelques fleurons… Pour le délégué général de la Fabrique de l’industrie, la France doit s’appuyer sur ses fleurons industriels : Airbus, Dassault Systèmes, Thalès… "On ne fait pas de tout mais il ne s’agit pas tant d’être bon partout que de se spécialiser sur des niches et produire suffisamment pour exister sur les marchés européens et mondiaux", souligne Thierry Weil.
… et des PME à soutenir. Une stratégie essentielle mais insuffisante pour Mathieu Plane. "Pour créer des champions industriels, il faut que les entreprises aient le temps de se développer. Or, beaucoup de petites sociétés françaises rentables se font racheter très vite par des grands groupes", regrette l’économiste. "L’enjeu de l’industrie de demain est donc de protéger les petites entreprises innovantes des prédateurs, le temps de leur permettre d’atteindre une taille critique."
L’enjeu de la modernisation. Pour envisager l’avenir un peu plus sereinement, l’industrie française devra d’abord relever le défi de la transition numérique et écologique. "Les entreprises industrielles ont besoin de moderniser leurs sites de production. Elles ont retrouvé leurs marges grâce au CICE et au Pacte de responsabilité. Mais ça ne suffit pas", explique Thierry Weil. "Pour investir, il faut avoir confiance dans l’avenir et dans le marché. La reprise de l’investissement industriel est encore trop timide." Cette modernisation doit aussi permettre aux entreprises françaises de réaliser des gains de productivité.
Des raisons d’espérer. Ce qui implique, comme souvent dans l’industrie, des destructions de postes. Thierry Weil incite cependant à voir le verre à moitié plein : "Ne vaut-il pas mieux sacrifier 10% des postes pour rester compétitif et surtout en vie, plutôt que disparaître purement et simplement ? Sachant qu’en gagnant en compétitivité, l’entreprise a des chances de gagner des parts de marché et à termes, elle peut espérer embaucher à nouveau". Des raisons d’espérer, l’industrie française en a trouvé une nouvelle : en 2016, la France n’a pas perdu d’usines, il y a eu autant de fermetures que d’ouvertures. Du jamais-vu depuis 2008.
Que proposent les candidats à la présidentielle ?
François Fillon veut prolonger jusqu’en 2019 le dispositif de suramortissement exceptionnel des investissements, pour soutenir l’investissement et la trésorerie des entreprises industrielles, et encourager la modernisation de l’outil de production des industries françaises.
Benoît Hamon envisage pour sa part de réserver des marchés aux entreprises industrielles françaises.
Outre le patriotisme économique, Marine Le Pen compte mettre en place "un plan de ré-industrialisation dans le cadre d’une coopération associant l’industrie et l’État-stratège pour privilégier l’économie réelle face à la finance spéculative".
Emmanuel Macron souhaite créer un fonds pour l’industrie et l’innovation, doté de 10 milliards d’euros, pour financer l’industrie du futur.
Jean-Luc Mélenchon est le chantre d’un "protectionnisme solidaire" qui passe par l’adoption de mesures anti-dumping sur les industries stratégiques (acier, photovoltaïque…). Il veut redonner à la France des conglomérats puissants, des fleurons technologiques et industriels.