Edouard Philippe le dit, le répète, le martèle : si le gouvernement veut lancer une profonde réforme de l’impôt sur la fortune, c’est pour mettre fin à une hémorragie. "Je voudrais que les riches arrêtent de partir, parce qu'ils partent de façon continue depuis quinze ans", a encore déclaré le Premier ministre lundi matin sur Europe 1. Le fisc n’étant pas l’administration la plus bavarde, surtout s’agissant des exilés fiscaux, vérifier cette affirmation est ardu. Mais dans le peu de chiffres à disposition, le lien entre soumission à l’ISF et départ ne saute pas forcément aux yeux.
Un taux très faible de redevables de l’ISF installés à l’étranger
Selon un rapport de la Direction générale des dépenses publiques datant de 2012, et relayé à l’époque par Les Echos, la part de contribuables redevables de l’ISF partis à l’étranger est faible. Très faible même. Ils étaient à cette date 587, sur un totale de 290.000 contribuables soumis à cet impôt. Soit 0,2% du total. En 2001, ils étaient 384 sur 269.448, soit 0,14% du total, selon l’Union SNUI Sud Trésor Solidaires. Sept ans plus tard, en 2008, le nombre d’exilés fiscaux redevables de l’ISF avait explosé, avec 821 installations hors du territoire. Sauf que dans le même temps, le nombre d’assujettis avait lui aussi explosé, avec 565.9636 contribuables. Le taux, 0,14%, restait lui inchangé.
En fait, ces 15 dernières années, puisqu’il s’agit de l’intervalle cité par Edouard Philippe, ce taux a peu évolué. Il a en fait baissé à partir de la mise en place du bouclier fiscal en 2007 (0,18% en 2006, 0,14% en 2008 et 2009), puis est reparti à la hausse avec la fin du bouclier fiscal, en 2012, mais aussi d’une réforme de l’ISF. En 2011, le seuil d’imposition est en effet passé de 800.000 euros à 1,3 million d’euros. Et le nombre d’assujettis a chuté - de 593.878 contribuables en 2010 à 291.630 en 2011 -, plus rapidement que le rythme des retours. Selon les derniers chiffres disponibles, 109 personnes redevables de l’ISF sont revenues en 2011, 103 en 2012.
"Il n’existe aucune hémorragie de ce côté-là". Pour Thomas Piketty, la messe est dite. "L’argument du gouvernement est que l’ISF aboutirait à une hémorragie fiscale. Le problème est que cette affirmation est totalement fausse", écrit le célèbre économiste dans une tribune au Monde, limpidement intitulée "La suppression de l’ISF, une faute historique". "Si l’on examine sereinement et objectivement l’ensemble des données disponibles – comptes nationaux, déclarations de revenus et de fortunes, enquêtes sur les patrimoines – alors la conclusion est sans appel : les plus hauts patrimoines se portent très bien en France, et il n’existe aucune hémorragie de ce côté-là", assène l’auteur du Nouveau capital au XXIème siècle.
"Plus vite on s'en débarrassera, mieux ce sera!". Certains de ses collègues ont un avis contraire. "Cet impôt empoisonne la vie politique du pays depuis un demi-siècle, plus vite on s'en débarrassera, mieux ce sera! Cela stimulera l'investissement, dont la faiblesse reste le principal problème de notre économie", assurait ainsi dimanche dans le JDD Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes. "Cette disparition de l'ISF est absolument nécessaire, car nous sommes dans une période de mutation technologique majeure. Il faut donc attirer des capitaux pour financer les entreprises. Il est absolument essentiel que l'argent des riches se dirige vers l'économie privée", abondait Nicolas Bouzou, fondateur du cabinet Asterès
Des exilés fiscaux à un très haut niveau de patrimoine
En revanche, les exilés fiscaux redevables de l’ISF sont bel et bien, et sans surprise, des personnes fortunées ou à forts, voire très forts, revenus. En 2012, selon la Direction générale des finances publiques, les 587 Français redevables de l’ISF qui avaient quitté le pays possédaient un patrimoine moyen de 6,6 millions d’euros, pour un patrimoine taxable de 3,3 milliards d’euros. Edouard Philippe n’avait donc pas tout à fait tort quand il affirmait lundi matin que "ceux qui partent ne payent plus l'ISF, mais ils ne paient plus non plus l'impôt sur le revenu et ils y contribuent beaucoup".