Les premiers pas de Getir en France se voulaient pourtant prometteurs. Arrivée de façon tonitruante dans l'Hexagone, l'entreprise turque spécialisée dans la livraison rapide de courses à domicile avait su trouver son public à l'instar de ses concurrents Flink, Cajoo, Gorillas ou encore Frichti. En Île-de-France, elle représentait 25% des livraisons de ce type selon le cabinet de suivi de la consommation NielsenIQ.
À grand renfort de publicités XXL, de remises séduisantes pour attirer toujours plus de clients, le secteur du "quick commerce" pour "commerce rapide" a connu un développement foudroyant en Europe. Mais la chute qui s'amorce semble tout aussi fulgurante. Ce mardi, Getir France a annoncé son placement en redressement judiciaire quelques mois après avoir acquis l'Allemand Gorillas, lui-même propriétaire du Français Frichti. Alors que les plateformes étaient une quinzaine il y a seulement deux ans, ce vaste mouvement de concentration, qui n'augurait déjà rien de bon, a réduit leur nombre à...deux. Seuls Flink et Getir subsistent.
Un modèle ni rentable ni durable
"Ce sont des formes de commerce qui n'ont pas démontré leur capacité à être durables et rentables. La première réaction ça a donc été la concentration pour s'allier et se renforcer en étant plus imposant. Mais l'étape d'après, c'est la fermeture", analyse Rodolphe Bonnasse, spécialiste de la grande distribution. S'appuyant sur l'essor de la livraison et des services à domicile, ces acteurs du quick commerce n'ont paradoxalement jamais réussi à fidéliser leur clientèle. "Le gros du besoin, c'étaient des produits de dépannage avec des clients 'zappeurs'. Ils ne sont pas parvenus à attirer à eux une forme de commerce durable avec une certaine fréquence d'achat", éclaire Rodolphe Bonnasse.
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D'où le choix d'opter pour des promotions et des remises particulièrement alléchantes mais dévastatrices sur le plan économique. "Le coût d'acquisition du client est très élevé", note Rodolphe Bonnasse. Difficile dans ces conditions d'assurer la viabilité du service, sauf à compter sur les subventions massives octroyées par les actionnaires. Un modèle à court-terme dont ces entreprises paient aujourd'hui les pots cassés. D'autant qu'en parallèle, elles doivent assumer un certain nombre de frais. Notamment du foncier avec les fameux "dark stores", ces magasins implantés en centre-ville où sont stockées les commandes, mais aussi des ressources humaines avec des livreurs à rémunérer.
Des difficultés "spécifiques" à la France
Et dans l'Hexagone, les acteurs du quick commerce doivent faire face à une difficulté supplémentaire. La semaine dernière, au moment de réclamer son placement en redressement judiciaire, Getir évoquait des raisons "spécifiques à la France". Une explication que Rodolphe Bonnasse veut croire. "Il y a une densité de magasins et de services alimentaires qui est très forte. La France est très équipée en terme de commerce alimentaire de proximité. Et à cela s'ajoute les jours de marchés.", souligne-t-il. En clair, difficile pour ces plateformes de se démarquer véritablement.
Certaines municipalités prennent néanmoins les devants et planchent sur des dispositifs destinés à encadrer ce quick commerce qui, en dépit des difficultés, conserve une certaine présence dans les centres urbains. Notamment à Paris où l'installation des dark stores et la pollution générée par ce type d'activité font l'objet d'une mission d'information co-rapportée par la députée MoDem Maud Gatel. Mais selon Rodolphe Bonnasse, ces entreprises doivent davantage craindre leur propre modèle plutôt que d'éventuelles mesures restrictives. "Souvent, l'innovation va plus vite que le cadre légal. Des municipalités commencent à légiférer et à se poser des questions mais de toute façon, le modèle est en train de mourir de lui-même".