C’est la fin d’un long marathon. Après plus de cinq mois de débats, une douzaine de journées de manifestation et un troisième recours à l’article 49-3 de la Constitution, le projet de loi Travail est considéré comme définitivement adopté jeudi faute de dépôt d'une motion de censure 24 heures. Mais au fait, que prévoit concrètement ce paquet de réformes si contesté ? Que va-t-il changer dans la vie des salariés ? Europe 1 passe en revue les mesures du projet de loi El Khomri.
• HEURES SUPPLÉMENTAIRES. Toute heure travaillée au-delà des 35 heures hebdomadaires continuera à être mieux payée. La majoration reste de 25% pour les huit premières heures supplémentaires, et de 50% pour les suivantes, mais une entreprise pourra négocier avec les syndicats un accord interne pour limiter ce bonus à 10%.
Ce que cela change. Les entreprises vont avoir une plus grande marge de manœuvre. Aujourd’hui, une entreprise doit prendre en compte les accords de branche avant de négocier le bonus versé pour les heures supplémentaires : si l’accord de branche prévoit une majoration de 30%, l’entreprise ne peut donc pas descendre en dessous de ce taux. Avec la loi El Khomri, l’accord d’entreprise primera sur l’accord de branche : une entreprise pourra négocier une majoration de 10%, le minimum légal, même si l’accord de branche prévoit un bonus bien plus élevé. Une possibilité qui risque de devenir la norme puisque le rapport de force est moins favorable aux salariés au niveau de l’entreprise qu’au niveau de la branche, où les syndicats sont plus forts. Résultat, si les employeurs regretteront toujours qu’une heure supplémentaire coûte plus cher, ils pourront néanmoins réduire la facture.
• LICENCIEMENT ÉCONOMIQUE. Des critères plus précis définissent le motif économique d'un licenciement : en cas de "baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires", en comparaison avec la même période de l'année précédente. Il faudra que cette baisse soit d'au moins un trimestre pour une entreprise de moins de 11 salariés, deux trimestres consécutifs pour une entreprise de 11 à moins de 50 salariés, trois trimestres pour une entreprise de 50 à moins de 300 salariés, quatre trimestres pour une entreprise de 300 salariés et plus. Le périmètre des difficultés économiques d'une entreprise restera fixé par la jurisprudence, avec une appréciation au niveau international.
Ce que cela change. Aujourd’hui, une entreprise ne peut procéder à un licenciement économique que pour deux motifs : une cessation d’activité ou une mutation technologique. Elle peut également invoquer une réorganisation nécessaire à la sauvegarde de l’entreprise, mais il faut alors prouver qu’elle est en péril. Demain, il suffira de remplir les conditions fixées par la loi El Khomri : les licenciements économiques seront donc plus faciles et moins contestables. Pour éviter que les entreprises les moins délicates ne profitent de cette opportunité, le juge des prud’hommes pourra vérifier qu’une entreprise n’organise pas artificiellement ses difficultés en France alors qu’elle se porte très bien ailleurs.
• LICENCIEMENT ABUSIF. La loi El Khomri instaure un barème qui fige dans le marbre le montant maximal d’indemnités qu’un salarié peut percevoir si les prud’hommes jugent qu’il a été licencié sans justification ou en dehors des règles. Censé être obligatoire, ce barème ne sera finalement qu’indicatif.
Ce que cela change. Aujourd'hui, les juges des prud’hommes décident du montant des indemnités au cas par cas, ce qui aboutit à des décisions très variables et inquiète les employeurs poursuivis. La loi El Khomri veut mettre fin à cette imprévisibilité avec un barème censé avoir deux conséquences : permettre d’accélérer les jugements - qui sont particulièrement longs en France - et offrir une plus grande visibilité aux employeurs. Mais face à la bronca des syndicats, le barème ne sera finalement qu’un indicatif : le juge pourra le suivre mais il n’y sera pas obligé. Au final, cette réforme ne change pas grand-chose, ni pour l’employeur, ni pour l’employé, le barème permettant seulement de se faire une idée des montants en jeu.
• RÉFÉRENDUM D'ENTREPRISE. En cas de blocage pour adopter un accord d’entreprise, les syndicats représentant au moins 30% des salariés pourront demander l’organisation d’un référendum. Le vote des salariés, à la majorité des suffrages exprimés, primera sur la décision des syndicats. Pour l’instant, ces référendums ne pourraient porter que sur certains dossiers (durée du travail, des repos et des congés).
Ce que cela change. Actuellement, pour qu'un accord soit valide, il doit recueillir soit la signature de syndicats ayant obtenu au moins 50% des voix aux élections professionnelles, soit la signature de syndicats représentant 30% des salariés mais à condition que les syndicats majoritaires ne s'y opposent pas. Un syndicat ayant obtenu plus de 50% des voix peut donc bloquer un texte, même si la majorité des salariés y est favorable. Avec ce référendum, une entreprise pourra donc contourner le ou les syndicats majoritaire(s), à condition de s’appuyer sur un syndicat pesant au moins 30% des suffrages. C’est d’ailleurs la stratégie qu’avait choisie la direction de l’usine Smart d’Hambach, en Moselle, pour revenir sur les 35 heures malgré l’opposition de la CGT et de la CFDT. Le vote qui y avait été organisé, qui n’a aujourd’hui aucune valeur, s’imposerait alors à tous.
• ACCORD DE DÉVELOPPEMENT DE L'EMPLOI. C’est une nouveauté qui n’existe pas aujourd’hui dans le droit du travail : donner la possibilité à une entreprise de conclure un "accord de développement de l’emploi". Une entreprise pourra conclure un accord pour moduler temps de travail et rémunération des salariés afin de partir à la conquête de nouveaux marchés. Cet accord pourra durer jusqu’à deux ans.
Ce que cela change. Aujourd’hui, il est déjà possible de réduire la part variable des employés ou de les faire travailler plus pour un salaire inchangé, mais seulement dans les entreprises qui vont mal : il s’agit des accords de maintien dans l’emploi, qui sont dits "défensifs" car conçus pour éviter les licenciements. Avec la loi El Khomri, de tels accords pourront devenir "offensifs" : les salariés pourront être moins payés ou travailler davantage si c’est pour décrocher un nouveau contrat. Les syndicats devront donner leur accord, mais si un salarié refuse la modification de son contrat de travail en vertu de cet accord collectif, il pourra être licencié non pas pour motif économique mais pour "motif spécifique". Et donc dans des conditions bien moins avantageuses qu’aujourd’hui, même s’ils bénéficieront d'un "parcours d'accompagnement personnalisé", assuré par Pôle Emploi et financé pour l'essentiel par l'Etat.
• NEUTRALITE POLITIQUE ET RELIGIEUSE. Avec la loi Travail, les entreprises privées pourront adopter un règlement intérieur avec "des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés".
Ce que cela change. Cette réforme va clarifier une situation encore floue. Aujourd’hui, la directive du 27 novembre 2000 admet des restrictions à la liberté religieuse, mais elle reste vague. Ces restrictions doivent être "justifiées par la nature de la tâche à accomplir", elles doivent correspondre "à une exigence professionnelle essentielle" et être "proportionnées au but recherché". Un cadre relativement flou, qui oblige parfois le juge à trancher avec des jugements parfois contradictoire. Désormais, l’employeur pourra clarifier la situation en amont.
• COMPTE PERSONNEL D’ACTIVITÉ. Visant à "protéger les actifs" et présenté par François Hollande comme la grande réforme sociale du quinquennat, le compte personnel d'activité (CPA) est ouvert à toute personne âgée d'au moins 16 ans, occupant un emploi ou à la recherche d'un emploi. Il est constitué du compte personnel de formation (CPF), du compte personnel de prévention de la pénibilité et d’un futur compte d’engagement citoyen, dans lequel les heures de formation récompensent bénévolat et volontariat.
Ce que cela va changer. C’est l’une des rares mesures de la loi El Khomri qui avantage le salarié et embarrasse l’employeur. Le CPA devrait faciliter la vie des employés, notamment ceux qui changent fréquemment d’employeurs : ils n’auront plus à multiplier les démarches pour obtenir un décompte de leurs droits à la formation et des tâches pénibles qu’ils ont effectuées dans leur carrière. Obtenir une formation pour améliorer sa qualification ou changer d’orientation serait aussi plus aisé. C’est en revanche une tâche administrative supplémentaire pour les employeurs. Cette réforme doit entrer en application à partir de 2017.
• GARANTIE JEUNES. Expérimentée depuis 2013, la garantie jeunes sera finalement généralisée par la loi El Khomri : le gouvernement a voulu faire une geste envers la jeunesse. Offrant une dernière chance à ceux qui ont décroché des études ou du monde du travail, la garantie jeune est l’autre mesure favorable aux travailleurs, les plus jeunes en l’occurrence.
Ce que cela change. Les jeunes sans compétence ni expérience professionnelle entament leur carrière dans les pires conditions, avec un risque de chômage bien plus élevé que la moyenne et une mobilité professionnelle très limitée. La garantie jeunes fait donc le pari suivant : consacrer des moyens financiers pour offrir à ces jeunes une séance de rattrapage plutôt que les laisser s’enfermer dans la précarité et les longues périodes de chômage qui, au final, coûtent plus cher à la collectivité. Concrètement, les 18-25 ans ayant peu de moyens pourront bénéficier d’un suivi régulier pendant un an et se verront proposer une formation, un stage, voire un emploi. Le temps de leur accompagnement, les bénéficiaires pourront recevoir une aide de 461 euros par mois. Les jeunes de moins de 28 ans et diplômés depuis moins de trois mois pourront aussi bénéficier d'une aide à la recherche du premier emploi, accordée pour une durée de quatre mois.
• INVERSION DES NORMES. C’est l’un des principaux axes de la réforme : permettre aux entreprises de s’extraire des accords de branche pour conclure des accords au niveau de l’entreprise, au plus près des pratiques quotidiennes. Face à la bronca des syndicats, les accords de branche resteront néanmoins la norme dans au moins deux domaines : la pénibilité et l’égalité professionnelle entre femmes et hommes.
Ce que cela change. Les entreprises auront plus de libertés pour négocier avec leurs salariés et leurs représentants. L’accord ainsi négocié pourra donc être moins favorable que l’accord de branche, ce qui paraît probable : dans la plupart des cas, les délégués syndicaux sont bien moins influents au niveau de l’entreprise qu’au niveau de la branche. Pour rassurer les syndicats, les branches dresseront chaque année un bilan des accords d'entreprise et pourront formuler des "recommandations", veillant notamment aux conditions de concurrence intra-branche.
LES AUTRES MESURES PREVUES
Le projet de loi Travail prévoit une multitude d’autres réformes qu’il est difficile de recenser intégralement. Plusieurs mesures sortent néanmoins du lot :
- Congés pour deuil. Le congé exceptionnel d'un salarié en cas de décès d'un enfant sera porté de deux à cinq jours. Celui pour la mort des parents et beaux-parents, d'un frère ou d'une soeur, passera d'un à deux jours.
- Protection des femmes après une grossesse. La période d'interdiction du licenciement pour les mères revenant de congé maternité sera allongée de 4 à 10 semaines.
- Droit à la connexion. A partir de 2017, chaque entreprise devra prévoir lors de sa négociation annuelle un chapitre sur le "droit à la déconnexion". En clair, définir les modalités permettant que le travail ne déborde pas sur la vie privée à cause des nouvelles technologies.
- Médecine du travail. La visite médicale n’est plus systématique à l'embauche et ne reste obligatoire que pour les postes à risque.
- Accompagnement des PME-TPE. Parce que les démarches administratives et les subtilités du droit sont un cauchemar pour les petites entreprises, la loi instaure un "service public territorial de l'accès au droit" pour aider notamment les entreprises de moins de 300 salariés dans leurs démarches. Une entreprise ayant suivi les procédures prescrites par l'administration pourra attester de sa bonne foi en cas de poursuites.
- Travailleurs détachés. La loi Travail accroit également les obligations pour les sociétés qui ont recours à des travailleurs détachés. Ces dernières engageront leur responsabilité en cas d’infraction, et ce même si elles s’abritent derrière une succession de sous-traitants.
- Réforme du Code du travail. Une commission est chargée de proposer au gouvernement d'ici deux ans une refonte du Code du travail. Le Haut Conseil du dialogue social y sera associé.