Moisson catastrophique : "même les anciens n’ont jamais vu ça"

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Les exploitations céréalières françaises sont dans le rouge : la moisson n’a jamais été aussi mauvaise. 

On les pensait à l’abri. Les céréaliers ont longtemps été considérés comme "les seigneurs" de l’agriculture face à leurs collègues éleveurs ou laitiers. Mais depuis quelques années, la situation s’est dégradée. L’été 2016 avec sa moisson catastrophique est en train de les plonger dans la crise. Selon le cabinet Agritel, le rendement ne devrait pas dépasser 5,5 tonnes de blé à l’hectare, soit une chute de plus de 30% par rapport à l’année dernière. Conséquence : la France va, pour la première fois de son histoire, perdre sa place de leader européen de l’exportation de blé au profit de l’Allemagne.

Que s’est-il passé ? Alors que la récolte s’annonçait plutôt bonne, les conditions climatiques ont finalement douché les espoirs des céréaliers. "Plusieurs choses se sont conjuguées", explique à Europe 1 Philippe Pintat, le président de l’association générale des producteurs de blé et autres céréales (AGPB). "On a eu peu de luminosité, donc la photosynthèse n’a pas fonctionné et on a eu de l’eau de façon très abondante". Pour ce dernier, "75% du territoire est concerné", avec une situation particulièrement inquiétante en "région centre, en Bourgogne, dans le Grand Est et le bassin parisien".

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Une perte de quatre milliards d'euros 

Quelles conséquences pour les céréaliers ? Contrairement aux idées reçues, les finances des céréaliers n’ont pas attendus cet été pour plonger. "Pratiquement la moitié des exploitations était dans le rouge avant cette année", tient à rappeler Philippe Pintat. Mais après la moisson de cet été, le président de l’AGPB s’attend à une perte de quatre milliards d’euros. Il  assure aussi que certains "agriculteurs ont perdu jusqu’à 70% de leur chiffre d’affaires". "C’est la double peine : on n’a pas de volumes et les prix sont bas", avance-t-il encore, avant d’ajouter : "ça va être extrêmement compliqué, il y a des inquiétudes énormes".

Deux agriculteurs racontent. Sur le terrain, les céréaliers sont en effet démunis. "C’est ma 13e moisson et la récolte n’a jamais été aussi mauvaise", confie à Europe 1 Alexandre Ruèche, président des Jeunes Agriculteurs d’Ile-de-France. "Quand on parle aux anciens, ils n’ont jamais vu ça", renchérit Baptiste Menon, président des Jeunes Agriculteurs du Loiret. Celui-ci exploite 160 hectares de terres et s’attend à 75% de rendement en moins sur ses 40 hectares de blé dur. Le jeune céréalier a déjà fait ses comptes : il s’attend à une perte entre 60.000 et 80.000 euros.

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C'est une année de trop pour beaucoup

"Ça va être tendu, je me verse zéro euro de revenu et je ne suis assuré qu’en cas de grêle, pas en aléas climatiques, donc ce sont des pertes sèches", se désole-t-il. "Il va falloir trouver une solution avec les banques", ajoute celui qui s’est installé il y a cinq ans. Son collègue francilien est, lui, plus chanceux car assuré. Sur les pertes qui dépassent les 30% de rendement, il doit donc être indemnisé. Mais le problème c’est que, sur le colza, il ne les atteint pas,  "donc là c’est une perte sèche". "C’est une année de trop pour beaucoup", déplore-t-il. Face à cette situation, les Jeunes Agriculteurs ont décidé de se réunir, chacun dans leur département, afin de faire le point et "éviter que certains ne fassent des conneries car il y en a qui sont vraiment désespérés", assure Baptiste Menon. Selon le dernier rapport de l'Observatoire national du suicide qui date de novembre 2014, un agriculteur se suicide tous les deux jours. C'est la population professionnelle la plus à risque. 

Quelles mesures pour faire face à la crise ? A l’issue du conseil des ministres du 27 juillet, une série de mesures a été annoncée telles qu’une aide à l’obtention de prêts bancaires, des dégrèvements sur la taxe de foncier non bâti pour les parcelles concernées, des reports de paiement des cotisations… "On a pris des mesures d’urgence pour passer le cap en terme de trésorerie", explique-t-on au ministère de l’Agriculture. A la fin du mois de septembre, le bilan complet de la moisson devrait être fait avant l’annonce début octobre d’un plan de soutien. Mais aucun chiffrage n’a pour l’instant été réalisé.