Altice, maison-mère de Numericable-SFR, a annoncé le rachat pour 17,7 milliards de dollars (15,7 milliards d'euros), dette comprise, du quatrième câblo-opérateur américain Cablevision. Une acquisition monstre qui confirme les ambitions de l'homme d'affaires franco-israélien Patrick Drahi. Et l'attrait d'un secteur des télécoms américains en pleine transformation. Mais Altice, déjà très endettée, est-elle assez solide pour conquérir l'Amérique ?
Que va acquérir Drahi ? Patrick Drahi achète une entreprise rentable. Créé en 1973, Cablevision est présent sous sa marque Optimum à New York, dans le New Jersey, le Connecticut et dans une partie de la Pennsylvanie. L'an dernier, le groupe aux 15.000 employés a réalisé 6,46 milliards de dollars de chiffre d'affaires pour un bénéfice net de 311,4 millions. En plus de ses activités de câblo-opérateur, Cablevision contrôle également la société de services Lightpath, le réseau de télévision locale new-yorkais News 12 Networks ainsi que les quotidiens Newsday et amNewYork.
En a-t-il les moyens ? Reste une question : Altice a-t-elle assez d'argent ? La transaction, attendue au premier semestre 2016, sera financée par 14,5 milliards de dollars de dette. Or, le groupe est déjà très endetté, à hauteur de plus de 30 milliards d'euros. En un an, Patrick Drahi aura donc racheté SFR, Portugal Télécom et NextRadioTV (RMC, BFMTV, 01Net…). Et à chaque fois, il procède de la même manière : il emprunte des milliards d'euros aux banques. Pour s'offrir Cablevision, Patrick Drahi a modifié durant l'été la structure capitalistique d'Altice, ce qui lui permet de financer des acquisitions via un échange d'actions ou une augmentation de capital sans craindre de perdre le contrôle de son groupe.
En outre, les banquiers semblent prêts à faire des chèques sans sourciller à l'homme d'affaires. Cette fois encore, selon nos informations, il n'a pas eu de mal à trouver ses milliards. Car sa technique est connue : Drahi achète en s'endettant... et il fait le ménage dans l'entreprise pour la rendre plus rentable. Lorsqu'il achète une entreprise, Patrick Drahi fait à chaque fois venir une équipe de six à sept personnes pendant plusieurs semaines. Elles scrutent toutes les dépenses... et elles coupent aussi souvent drastiquement dedans. Preuve que les marchés lui font encore confiance : le cours d'Altice à la Bourse d'Amsterdam montait de 0,53% jeudi.
>> Patrick Drahi est-il devenu fou ?, se demande notre éditorialiste Nicolas Barré :
"C'est assez incroyable. C'est ce qu'on appelle l'effet de levier. Vous mettez un peu d'argent à vous et les banques vous font crédit. Vous êtes 'bancable', les banques vous aiment bien car dans votre vie vous avez su vous faire de l'argent", analyse sur Europe 1 l'économiste Édouard Tétreau, auteur d'au-delà du mur et de l'argent. "Et si vous réussissez à ne pas vous faire rattraper par la dette, vous faites d'immenses fortunes. C'est le cas par exemple de Mittal, le sidérurgiste, qui ne s'est jamais fait rattraper", poursuit l'essayiste.
Drahi va-t-il s'arrêter là ? Une confiance qui permet à Altice d'avoir de l'ambition, beaucoup d'ambition. Altice veut générer à terme la moitié de ses revenus aux Etats-Unis contre 15% prévus fin 2015. Et ses achats devraient continuer. La liste de ses cibles américaines comprend, selon des sources bancaires, Verizon Communications FiOS, les activités du câble et de cuivre de l'opérateur télécoms Verizon, évaluées à environ 34 milliards de dollars par un analyste de Citigroup. L'homme d'affaires étudie aussi un rachat de Cox Communications ou Mediacom, selon ces sources.
Le marché américain vaut-il vraiment le coup ? Reste une dernière question : le marché américain est-il vraiment si rentable ? Patrick Drahi entend reproduire aux Etats-Unis les recettes de sa fulgurante ascension en Europe. Il entend se lancer dans une guerre de la qualité des services, alors que les consommateurs américains quittent le câble au profit de services de vidéo en ligne (streaming) comme Netflix, Hulu, Amazon Fire TV, Apple TV... aux tarifs souvent dérisoires par rapport à ceux des câblo-opérateurs.
Selon les experts, les consommateurs auront besoin dans les prochaines années d'une connexion de qualité au très haut débit fixe (via le wifi) pour ces nouveaux services. Et à terme, Altice, créé en 2001 et employant 40.000 personnes, pourrait proposer des offres triple play (internet, mobile, télévision) ou quadruple play comme le fait depuis peu le géant américain AT and T.
Patrick Drahi a d'autant de marge de manœuvre que le numéro un américain du câble, Comcast, a les mains liées par les règles de la concurrence du fait de sa taille. Et que les deux autres mastodontes Charter/Time Warner sont en train de fusionner.
Drahi n'a-t-il donc rien à craindre ? Le pari n'en reste pas moins risqué. Même si le marché américain peut être rentable, le montant de la dette d'Altice, qui s'établira à plus de 40 milliards d'euros après le rachat, reste énorme. D'autant que, selon les informations d'Europe 1, Patrick Drahi emprunte très cher : à des taux d'environ 5%. Il ne faut donc pas décevoir et réussir à faire les économies promises. Faute de quoi, inévitablement, la machine pourrait se gripper. "L'effet de levier peut aussi se transformer en 'effet massue'", rappelle Édouard Tétreau. "Aujourd'hui, l'empire Drahi pose beaucoup de questions chez ses banquiers. Aujourd'hui, ils lui font ce crédit. Mais il est trop tôt pour dire que Drahi deviendra un Mittal", assure l'économiste. Et de conclure : "on dit que Drahi a un secret pour faire du cash : ne pas payer ses fournisseurs. Mais cela ne dure qu'un temps. En outre, nous sommes à la veille d'une crise financière mondiale. Cela devrait probablement faire monter les taux d'intérêt. Ça, ce n'est pas dans la main de Patrick Drahi. Et ses banquiers ne semblent pas le voir venir".