Plus de 30 millions de téléchargements en l’espace de deux semaines, un immense emballement médiatique, des scènes d’attroupement réunissant des dizaines de personnes les yeux rivés sur leur téléphone : l’arrivée des Pokémon sur smartphone n’est pas passée inaperçue. Il faut dire que le jeu Pokémon Go a de quoi intriguer, puisqu’il est basé sur la réalité augmentée : il ne s’agit plus de jouer confortablement installé dans son canapé, il faut se balader dans la rue en quête d’un lieu fréquenté par ces créatures imaginaires afin d’espérer en capturer une dans son smartphone. Mais au-delà de cette question de jouabilité, Pokémon Go représente aussi une mini-révolution marketing : le jeu pourrait aussi devenir le meilleur moyen d’attirer les jeunes consommateurs. Et ainsi devenir le premier jeu à gagner plus d’argent avec les annonceurs qu’avec les joueurs.
Des revenus versés par les joueurs... Comme la plupart des jeux mobiles récents, Pokémon Go repose sur le principe du "freemium", contraction des termes anglais "Free" et "Premium" : le jeu est gratuit et il est possible de jouer sans dépenser le moindre euro. Mais les plus impatients ou les plus passionnés peuvent progresser plus vite ou obtenir certains accessoires et bonus en réalisant des achats via l’application.
Habituellement, ces joueurs prêts à payer ne représentent qu’une infime partie des utilisateurs : moins de 1% des joueurs, selon une étude de l’entreprise Swrve. Mais Pikachu et les autres Pokémons semblent inciter bien plus de joueurs à passer à la caisse : 39,3% des utilisateurs ayant effectué un achat dans Pokémon Go n’avaient jamais dépensé le moindre euro pour un jeu mobile jusqu’à présent, d’après une étude publiée mi-juillet par l’entreprise Sensor Tower. En deux semaines, l’éditeur a ainsi gagné 35 millions de dollars, soit 31,7 millions d’euros.
…mais aussi et surtout par les marques. Malgré ces revenus d’un niveau inédit, les éditeurs du jeu vidéo espèrent des retombées économiques encore plus importantes et, cette fois-ci, ce ne sont pas les joueurs qui sont visés mais les entreprises et les marques. Jouer à Pokémon Go suppose en effet de se balader dans la vraie vie dans l’espoir de croiser un Pokémon virtuel via son smartphone. Les joueurs s’aventurent donc là où le jeu les incite à aller, c’est-à-dire dans des Pokestop (des lieux où récupérer des Pokémons, des œufs, des Pokeball ou des bonus) et des arènes (où s’organisent les combats de Pokémon).
Or, si la plupart de ces zones stratégiques sont situées dans des lieux très fréquentés (gares, parcs et places publiques, musées, berges, etc.), certaines sont localisées dans… des magasins, des restaurants et des centres commerciaux. Ces derniers peuvent donc espérer voir affluer les joueurs dans les environs, si bien que Pokémon Go est non seulement un jeu mais aussi un outil de marketing au service des entreprises pour attirer le client. Et cette fois-ci, les enjeux financiers sont bien plus importants.
Le PDG de Niantic (ex-Google), qui a développé le jeu, ne le cache d’ailleurs pas : outre les achats réalisés par les joueurs, "la seconde composante de notre modèle économique repose sur le concept de lieux sponsorisés", a déclaré John Hanke au Financial Times. Et ce dernier d’espérer que les entreprises "paient pour devenir des lieux stratégiques au sein du jeu, partant du principe que c’est une incitation qui peut drainer des piétons".
Une nouvelle méthode de marketing prometteuse. Cette nouvelle méthode de marketing, baptisée drive-to-store ou web-to-store, est assez prometteuse pour qu’une des principales multinationales tente l’aventure. Au Japon, où Pokémon Go a été lancé vendredi, le groupe McDonald’s a passé un accord avec l’éditeur du jeu pour qu’il localise des Pokestop et des arènes virtuelles dans 3.000 de ses magasins, dixit le site Tech Crunch. La chaîne de fast-food paiera ensuite l’éditeur en fonction du nombre de joueurs qui ont poussé les portes de ses restaurants.
Mc Donald’s espère d’autant plus faire bondir sa fréquentation que l’éditeur Niantic ne part pas de zéro. Son précédent jeu basé sur la géolocalisation et la réalité augmentée, Ingress, permettait aussi à des entreprises de payer pour devenir un lieu stratégique pour les joueurs. Des entreprises comme le loueur de voiture Zipcar ou la chaine de café Jamba Juice avaient tenté ce pari. Ces partenariats avec des grandes marques est donc au cœur de l’activité de Niantic, comme le soulignait un de ses actionnaires dans des propos rapportés par le magazine LSA : "Aller dans une pharmacie pourrait soigner votre Pokémon ou aller dans un fast-food pourrait le nourrir".
Une fréquentation qui augmente de 75%. Pokémon étant l’une des franchises les plus populaires parmi les jeunes générations, le jeu devrait réussir à attirer le joueur/client en magasin. Les premiers qui ont tenté l’expérience, de manière plus artisanale, ne l’ont d’ailleurs pas regretté. Juste après le lancement du jeu aux Etats-Unis, une pizzeria new-yorkaise a acheté dans le jeu un leurre, un objet qui attire les Pokémon et donc les joueurs. Résultat : un chiffre d’affaires qui bondit de 75% grâce à ces nouveaux clients venus chasser le Bulbizarre, le Tortank ou encore le Snorlax.
L’impact est tellement prometteur que de nombreux sites spécialisés dans le marketing commencent à se pencher sur la question. Le magazine américain Inc., spécialisé dans les start-up, a même publié sur son site un mode d’emploi pour profiter au maximum des possibilités offertes par Pokémon Go. D’après ses calculs, un petit commerce peut espérer utiliser ce jeu comme un outil marketing pour moins de 1,20 dollar par heure, du moins pendant les premiers mois du jeu. Un chasseur de Pokémon Go peut donc sans le savoir devenir lui-même une proie.