La semaine commence mal pour EDF, dont l’action perdait plus de 7% lundi en milieu de journée. Pour comprendre cette dégringolade boursière, il faut revenir à dimanche, date à laquelle était révélée la démission surprise du directeur financier du groupe, opposé au projet d’Hinkley Point. Mais comment le départ d’un seul homme, bien que très médiatisé, a-t-il pu faire vaciller l’une des principales entreprises français ? La réponse se trouve dans les chiffres mais aussi quelques lettres : EPR.
Qu’est-ce que le projet d’Hinkley Point ? Il s’agit du prochain projet d’EPR, la nouvelle génération de centrale nucléaire mise au point par la France. Ce nouveau type de centrale se veut plus puissant mais aussi plus sécurisé que les centrales existantes. De telles promesses ont conduit trois Etats à tenter l’aventure : la France bien sûr, mais aussi la Finlande et la Chine. Le Royaume-Uni devrait suivre et accueillir deux réacteurs EPR à Hinkley Point, dans le sud-ouest du pays en face de la ville galloise de Cardiff. Le contrat officialisant ce projet doit être signé dans les semaines.
Pourquoi l’EPR est-il considéré comme financièrement risqué ? Si l’EPR est en théorie plein de qualités, sa construction vire au casse-tête. En Finlande, la facture devrait être multipliée par trois et le chantier devrait se terminer avec neuf années de retard. Les délais et le budget ont également explosé pour le site de Flamanville en France, sans oublier un autre problème de taille : l’Autorité de sécurité nucléaire a pointé des anomalies dans la cuve de l’EPR qui pourraient nécessiter de nouveaux travaux et des dépenses supplémentaires. Le tout aux frais d’EDF et d’Areva, ce qui revient désormais pratiquement au même. Au final, seule la construction de deux EPR en Chine semble se dérouler sans problème, même si les informations sur le sujet sont plus limitées.
Dans ces conditions, le projet d’EPR à Hinkley Point n’est pas anodin : il y en a pour 23,2 milliards d’euros, dont les deux tiers à la charge d’EDF. Si ce chantier rencontre les mêmes problèmes que les autres EPR, l’électricien français risque de devoir une nouvelle fois payer les pots cassés.
Comment se porte EDF actuellement ? Construire un EPR au Royaume-Uni est d’autant plus risqué qu’EDF ne va pas bien en ce ce moment. Alors que les prix de l’électricité baissent, l’entreprise doit se préparer à des dépenses colossales. Il y a d’abord le plan de grand carénage, une série de grands travaux censés permettre aux centrales nucléaires françaises de fonctionner dix années supplémentaires. Coût du chantier : au moins 55 milliards d’euros.
Autre source de préoccupation : le démantèlement des centrales les plus âgées et la gestion des déchets radioactifs. Le coût réel d’une telle déconstruction est encore incertain, tandis que le stockage des déchets risque de coûter plus cher qu’EDF ne l’anticipe. En outre, EDF doit absorber Areva, qu’il a sauvé de la faillite sur l’insistance de l’Etat français. L’électricien français traverse donc une zone de turbulence, avec un effet immédiat sur sa valorisation en bourse : la valeur du groupe a fondu de 65% en 5 ans et EDF a quitté le CAC 40 fin 2015. Le groupe dans son ensemble vaut désormais à peine plus que le coût du chantier anglais. Le moindre surcoût pourrait donc avoir de grandes conséquences.
Pourquoi le projet Hinkley Point fait-il débat ? Estimant qu’EDF n’a plus les reins assez solides pour pouvoir supporter de nouveaux contretemps, qui ont tendance à être nombreux avec l’EPR, son directeur a donc décidé de claquer la porte avec fracas. "Le directeur financier a présenté sa démission la semaine dernière à Jean-Bernard Lévy (le PDG d'EDF, ndlr) en raison d'un désaccord sur Hinkley Point", a indiqué l’entreprise dimanche, avant de préciser que le désaccord porte "sur la faisabilité à court terme" du projet britannique.
Un point de vue partagé en interne par de nombreux collaborateurs. "La démission courageuse du directeur financier d'EDF traduit publiquement et d'une manière spectaculaire ce désaccord qui touche les membres du COMEX (comité exécutif) d'EDF, mais d'une façon générale tout le haut encadrement", a déclaré le syndicat FO Energie et Mines. Ce projet "pourrait porter un coup fatal à l'entreprise publique", a renchéri la FNME-CGT, qui exige a minima un report de ce chantier.
Auteur du livre EDF : la bombe a retardement ?, Thierry Gadault n’a rien dit d’autre lundi sur Europe 1 : "EDF est en situation de quasi faillite, comme Areva. Quand on a 66 milliards d'euros de dettes, 100 milliards à financer dans les centrales françaises, 20 milliards à rajouter pour la Grande-Bretagne, on peut considérer qu’on est dans une très mauvaise situation".
Ce débat a-t-il fait bouger les lignes ? Malgré les doutes des syndicats et la démission médiatisée de son directeur financier, EDF a décidé de maintenir le cap. Lundi, le PDG du groupe Jean-Bernard Lévy a martelé que le chantier britannique serait officiellement acté "dans un avenir proche".
Il faut dire que la direction peut compter sur le soutien des responsables politiques. Le projet d’EPR est devenu un axe majeur de la coopération franco-britannique et reste pour les responsables politiques hexagonaux une vitrine du nucléaire français. "L'Etat, en tant qu'actionnaire largement majoritaire, est pleinement en soutien de l'équipe de direction", a affirmé Emmanuel Macron lundi, avant d’ajouter : "nous confirmons notre pleine confiance" dans le PDG du groupe Jean-Bernard Lévy, et "nous renouvelons notre plein soutien au projet" d'Hinkley Point, qui sera "très rentable sur les 30 années à venir". Si ce n’était pas le cas, EDF en paierait douloureusement le prix, ainsi que les consommateurs et les contribuables français.