Les deux coups de tonnerre ont retenti à seulement dix jours d'intervalle. Le 27 mai dernier, Fiat Chrysler Automobiles (FCA) envoyait une proposition de fusion à Renault. Ce jeudi, dans la nuit, le groupe italo-américain a jeté l'éponge. Retour sur les raisons du divorce.
Pour Fiat, les conditions politiques pas réunies en France
Peu après minuit et la fin d'un conseil d'administration chargé chez Renault, FCA a annoncé le retrait de sa proposition de fusion, estimant que "les conditions politiques ne sont actuellement pas réunies en France pour mener à bien un tel rapprochement". Selon une source proche du constructeur italo-américain, "toutes les conditions étaient réunies [mercredi] pour aboutir à un vote positif" du conseil d'administration du groupe au losange, jusqu'à ce que Bercy adopte une "position soudaine et incompréhensible".
Autrement dit, chez FCA, on charge l'État français, premier et seul responsable de l'annulation du divorce en faisant preuve de "nouvelles exigences" à la dernière minute.
Pour Paris, des nécessités économiques et pas d'ingérence politique
Une version contestée au sein du gouvernement. L'échec de la fusion n'a "rien à voir" avec des "interventions politiques" de l'État français, a assuré le ministère de l'Économie jeudi, lors d'une conférence de presse. "Dès la présentation de cette offre, l'État, actionnaire de Renault à 15,1%, l'a accueilli avec ouverture", avait fait valoir Bruno Le Maire, ministre de l'Économie, quelques heures plus tôt.
Mais alors, pourquoi demander lors du conseil d'administration de mercredi à reporter le vote sur la fusion ? De fait, le patron de Bercy "a fait savoir qu'il voulait un [nouveau] conseil mardi [prochain], après son voyage au Japon", a expliqué une source proche de Renault.
Un report était un moyen, pour Bercy, de s'acheter le temps de convaincre entièrement Nissan, l'allié de Renault depuis vingt ans. "C'est quand même un peu la moindre des choses que de s'assurer de leur support", explique une source bien au courant du dossier à Europe 1. "Depuis le début, l'État a souhaité que le temps nécessaire soit donné pour examiner cette opération structurante", fait-on valoir à Bercy. "Malgré des progrès significatifs, un court délai était encore nécessaire pour que l'ensemble des conditions fixées par l'État soit remplies" et, parmi elles, le maintien à tout prix de l'alliance avec le groupe japonais.
L'alliance avec Nissan en question
L'argument est balayé chez Fiat, où l'on assure qu'en réalité, Nissan ne s'opposait pas à la fusion. Voire s'en réjouissait, dans la mesure où la part de l'Etat français dans le nouveau groupe ainsi créé aurait été diluée, pour ne plus atteindre que 7,5% du capital. De fait, les relations au sein de l'alliance franco-japonaise sont compliquées depuis l'arrestation, en novembre dernier, de l'ancien patron Carlos Ghosn, mis en examen au Japon pour diverses malversations à la suite de dénonciations par des dirigeants de Nissan.
Reste que les Japonais, tenus à l'écart des discussions entre Renault et FCA jusqu'à l'annonce du projet, n'ont pas exprimé le souhait d'aller si vite jusqu'ici. Lundi, le directeur général de Nissan, Hiroto Saikawa, a déclaré que la fusion nécessiterait "une revue totale des relations existant entre Nissan et Renault". Mercredi, lors du conseil d'administration, les deux représentants du groupe japonais "pensaient s'abstenir", selon une source proche de Renault. Ils ont indiqué "qu'ils pourraient dire oui avec un peu plus de temps".
Une fusion avec Fiat impliquait en effet beaucoup de questions, notamment sur le partage des programmes et des technologies. Ce partage est acté entre Nissan et Renault, mais FCA y aurait-il eu également accès ? Alors que le groupe italo-américain a beaucoup de retard sur l'électrique ou les voitures autonomes (ses dépenses en recherche et développement sont deux fois moindres que celle de Renault), Nissan n'aurait pas forcément vu d'un bon œil son arrivée soudaine.
Laisser du temps
Quoi qu'il en soit, il aurait donc fallu du temps pour étudier l'opération et ses bénéfices ou ses risques potentiels. "On ne peut pas faire des alliances dans la précipitation", a réagi la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, sur RFI jeudi. Du côté des syndicats de Renault aussi, la rapidité de FCA à retirer son offre a étonné. La CFDT s'est dite "surprise de cette décision", "regrettant de ne pas pouvoir passer à l'étape suivante qui aurait permis d'appréhender plus en profondeur les enjeux de ce dossier". SUD a lui souligné qu'une "fusion entre Renault et Fiat ne peut pas se décider à coups de pression et en deux semaines".
Dans un communiqué publié jeudi à la mi-journée, Renault ne ferme pas la porte à un futur rapprochement. "Nous considérons que cette proposition est opportune, ayant beaucoup de mérite industriel et d'attractivité financière, créant un leader mondial de l'automobile, basé en Europe", écrit le groupe.