Comment définir un riche, en France, en 2021 ? Pour nos concitoyens, le bonheur passe-t-il absolument par le caddie et ce qui s'y trouve ? Le football est-il un univers égalitaire souhaitable aux yeux de ceux qui le suivent ? Autant de questions passionnantes que l'économiste Daniel Cohen aborde dans son dernier ouvrage, Les Français et l'argent, six nouvelles questions d'économie contemporaine, qui vient d'être publié aux éditions Albin Michel. Sur Europe 1, mardi soir, l'auteur livre son analyse sur ces problématiques terriblement actuelles.
1. À partir de quand est-on riche en France ?
C'est presque une non-réponse que formule Daniel Cohen à cette question : "Être riche, c'est être plus riche que ceux avec qui on vit. Cela va dépendre de l'échelle sociale où vous vous trouvez. Pour un milliardaire, être riche, c'est être deux fois plus riche que celui avec lequel vous partagez, par exemple, votre maison de campagne. Pour des gens plus modestes, c'est être plus riche que ceux avec lesquels ils travaillent, donc c'est vraiment relatif."
Moins opérantes, les échelles objectives de répartition des revenus n'en restent pas moins utiles pour se repérer : "On commence à rentrer dans les 10% les plus riches en gros autour de 6.000 euros et dans les 1% les plus riches autour de 10.000 euros net par mois."
2. Les Français sont-ils aveugles à leur richesse ?
D'une certaine manière, oui, selon l'économiste, qui replace son analyse dans une perspective historique. "Si je regarde la France aujourd'hui relativement à ce qu'elle était en 1970 ou en 1960, elle est beaucoup plus riche qu'elle ne l'était à l'époque. Par exemple, la France est quatre fois plus riche qu'elle ne l'était en 1960. Or, les Français dans leur ensemble ne sont pas plus heureux qu'ils ne l'étaient en 1960."
Et ce qui explique ce moindre bonheur réside dans l'espoir ou le désespoir contenu au sein de chaque classe sociale à une période donnée : "En 1960, il y avait beaucoup de ménages qui n'avaient pas encore la télévision, une voiture, etc. Mais c'était une société pleine de promesses. On avait vraiment le sentiment que la société était en train de tirer tout le monde vers le haut." En résumé, "on est beaucoup plus riche qu'à l'époque mais on n'est pas plus heureux parce qu'encore une fois, ce qui compte n'est pas l'état général de la société, mais où on se situe à un moment donné dans cette société relativement aux autres".
3. Le rapport des Français à l'argent est-il plus fort qu'ailleurs ?
Des Allemands très gestionnaires, des Américains très expansifs… Et si le peuple qui avait le plus de problèmes dans son rapport à l'argent était finalement le nôtre ? "Le rapport des Français à l'argent est beaucoup plus intense qu'il n'est ailleurs. Si je compare le degré d'indexation du bonheur des Français à l'égard de leur compte en banque, il est beaucoup plus fort statistiquement qu'on ne l'observe en Angleterre, en Allemagne et même aux États-Unis, où pourtant l'argent est une valeur qui s'affiche", assure Daniel Cohen. L'économiste pointe même une "dépendance" française à l'argent.
" Les Français cherchent dans l'argent ce qu'ils ne trouvent pas dans leurs rapports sociaux "
Selon lui, "c'est le signe que, beaucoup plus qu'ailleurs, les Français ont du mal à faire société. Ils cherchent dans l'argent ce qu'ils ne trouvent pas dans leurs rapports sociaux", avec un sentiment de malaise parmi leurs semblables.
4. Les Français riches sont-ils moins généreux que dans d'autres pays ?
Attention, sujet tabou : les Français riches contribuent-ils suffisamment à l'économie du pays ? Trois ans après la suppression de l'ISF, devenu un impôt de plus faible intensité sur la fortune immobilière, le débat est toujours miné. Pour l'économiste, les Français les plus aisés "n'aiment pas montrer leur argent et n'aiment pas rendre l'argent qu'ils ont gagné, peut-être parce qu'ils savent aussi qu'ils susciteraient la jalousie des autres Français", moins riches qu'eux objectivement.
Et regarder de l'autre côté de l'Atlantique ne servira à rien pour se consoler. "Un Français du haut de l'échelle sociale donne huit fois moins qu'un Américain, par exemple, alors même que l'État contribue beaucoup plus généreusement aux exonérations des dons pour des œuvres caritatives. En fait, il donne huit fois moins, mais ça lui coûte seize fois moins qu'à un Américain, puisque c'est à peu près dans un rapport de un à deux qu'ils sont dédommagés, relativement aux Américains", souligne le spécialiste, qui dénonce une "pathologie" française dans ce domaine.
5. Les classes moyennes vont-elles se reconstituer ?
La dure crise du coronavirus n'a rien arrangé, avec un marché du travail déstabilisé : les classes moyennes de notre société tendent à se dépeupler, avec d'un côté des classes moyennes supérieures qui parviennent sans trop de difficultés à rester aisées, tandis que de nombreux ménages basculent dans la pauvreté. "J'espère que ce n'est pas irréversible. Je pense qu'au contraire, il faut essayer de réfléchir à tous les moyens de sortir de ça", affirme Daniel Cohen.
" Les infirmières pourraient trouver plus de compétences grâce à l'intelligence artificielle "
L'un de ces moyens possibles est symbolisé par la révolution numérique à l'œuvre depuis le tournant du siècle. "C'est le grand espoir des nouvelles technologies que de revivifier ce milieu de la distribution. Par exemple, les infirmiers et les infirmières pourraient trouver plus de compétences grâce à l'intelligence artificielle. C'est tout cela qu'il faut espérer voir advenir dans les années qui viennent."
6. Le football est-il un milieu de "Robin des bois" ?
La formule pourrait faire sourire, avec des salaires astronomiques et un marché du travail des plus atypiques. Daniel Cohen l'explicite au micro d'Europe 1 : "Quand on regarde la profitabilité des clubs, elle n'est absolument pas corrélée à leur classement dans les ligues internationales. Les clubs les plus performants en termes de matches gagnés ou de coupes remportées ne sont pas les plus profitables. Ce sont même souvent les moins profitables, parce que nos grandes stars du football 'prennent tout le fric'. Le foot est peut-être un des seuls lieux de redistribution où des jeunes issus des classes populaires font la caisse. Ce sont des capitalistes qui payent ces jeunes, sans rien en récolter, puisque leur profitabilité est très mauvaise."
C'est, d'après lui, l'une des raisons pour lesquelles "les Français ne sont pas du tout gênés avec les salaires absolument délirants de leurs stars du football". Une autre particularité du rapport déjà atypique des Français avec l'argent.