C’est peut-être le début d’une longue série de sanctions. Au terme de presque deux années d’enquête, la Commission européenne a sommé mercredi deux entreprises de rembourser les avantages fiscaux dont elles ont bénéficiés. Et pas des moindres puisqu’il s’agit de Fiat et de Starbucks, qui aurait chacun réussi à réduire artificiellement leur imposition de 20 à 30 millions d’euros. Malgré ce premier coup de semonce, le retour à une normalisation fiscale est cependant encore loin : près de 350 entreprises seraient concernées et les Etats qui les ont attirés sur leur sol rechignent à faire le ménage.
Ce qui est reproché à Fiat et Starbucks. "À l’issue d’enquêtes approfondies ouvertes en juin 2014, la Commission est parvenue à la conclusion que le Luxembourg a accordé des avantages fiscaux sélectifs à la société de trésorerie de Fiat et que les Pays-Bas en ont fait de même en faveur de la société de torréfaction de café de Starbucks". Ces deux Etats ont en effet passé des accords fiscaux, aussi appelés "tax ruling", avec ces deux entreprises pour leur permettre de réduire artificiellement leur charge fiscale.
En clair, ces derniers ont réussi à obtenir un traitement fiscal sur mesure leur permettant de payer le moins d’impôts possible, une imposition qui devient alors disproportionnée par rapport à la réalité économique de leur activité. "L'essentiel des bénéfices de Starbucks sont transférés à l'étranger, où ils ne sont pas imposés, et la société de trésorerie du groupe Fiat n'a payé l'impôt sur les sociétés que sur des bénéfices sous-estimés", précise la Commission européenne.
Le Luxembourg et les Pays-Bas également pointés du doigt. Si ces deux entreprises ont réussi à réduire artificiellement le montant de leurs impôts, c’est aussi parce que certains Etats l’ont permis, en l’occurrence le Luxembourg et les Pays-Bas. C’est d’ailleurs ces derniers que la Commission européenne vise directement puisqu’elle n’inflige pas une amende à Fiat et Starbucks mais demande aux deux Etats qui les accueillent de leur faire payer des impôts normaux.
Au regard de la Commission européenne, les rabais fiscaux offerts sont dans les faits des aides d’Etat illégales : d’abord car elles pénalisent les entreprises qui ne bénéficient pas d’un tel avantage – notamment les PME - , ensuite parce que ce traitement de faveur prive les autres Etats européens de rentrées fiscales. Ce sont donc ces deux Etats qui doivent demander à Starbucks et Fiat de rembourser les sommes qu’ils ont économisées de manière douteuse.
Des paradis fiscaux peu enclins à rentrer dans le rang. Ces deux pays ont maintenant deux mois pour calculer quelle somme ils doivent réclamer aux géant italien de l'automobile et de la chaîne de café américaine. Sauf que ces deux Etats sont très réticents, par crainte de voir fuir toutes les entreprises qu’ils ont réussi à attirer grâce à un régime fiscal préférentiel.
Champion en la matière, le Luxembourg a ainsi contesté la décision européenne et déclaré ne "pas partager les conclusions de la Commission dans l'affaire Fiat Finance and Trade". De son côté, le gouvernement néerlandais s'est dit "surpris" et compte "étudier la décision et informer le parlement ces prochaines semaines des mesures qu'il veut prendre". Ces deux pays pourraient donc lancer une bataille procédurale pour gagner du temps et peuvent compter sur d’autres alliés : l’Irlande, Chypre, les îles britanniques, voire même la Belgique.
Le début d’une longue bataille fiscale ? Ces spécialistes de l’inventivité fiscale risquent néanmoins de devoir batailler dur car les autorités européennes – et la plupart des Etats de l’UE – commencent à se réveiller. "De nouvelles affaires pourraient voir le jour si nous avons des indications que les règles en matière d'aides d'Etat ne sont pas respectées", a prévenu Margrethe Vestager, Commissaire chargée de la Concurrence.
Or le chantier est colossal. Le LuxLeak a montré que près de 340 entreprises bénéficieraient des douceurs fiscales offertes par le Luxembourg : Vodafone, Walt Disney, Timberland, Skype, Schroders, Mylan, Ikea, HSBC, etc. Les Français ne sont pas en reste : LVMH, les assureurs Axa et CNP Assurances, les groupes bancaires BNP Paribas et BPCE (Banque Populaire – Caisse d’Epargne), mais aussi les groupes financiers Rotschild et Wendel. Les institutions européennes ont d’ailleurs déjà commencé à enquêter sur certaines d’entre elles. Le régime fiscal d’Amazon au Luxembourg fait l’objet d’investigations et McDonald’s pourrait connaître le même sort. De même, une enquête a été ouverte sur le montage offert à Apple par l’Irlande, qui héberge par ailleurs Google.
L’UE s’apprête à changer les règles du jeu. Mais comme le souligne l’ONG Oxfam, "ces multinationales continueront à tirer avantage des différentes règles fiscales tant que l’UE n’aura pas sifflé la fin de la partie et que les Etats membres ne se seront pas accordés pour mettre un terme aux échappatoires fiscales et sanctionner les tricheurs ".
Pour éviter que de telles pratiques se répètent, il faut donc faire évoluer les règles du jeu. Une mutation très lente mais engagée : les grandes puissances du G20 se sont mises d’accord début octobre pour limiter ces techniques d'optimisation fiscale qui feraient perdre jusqu'à 240 milliards de dollars par an de recettes fiscales. Mais pour les ONG, ce n’est qu’un début : "beaucoup des propositions sont faibles et continueront à offrir aux multinationales des occasions de relocaliser les bénéfices hors du pays où ils sont réalisés et, ce faisant, de réduire les recettes fiscales", regrettait alors le Tax Justice Network.