Déjà contesté par les syndicats, la rue et même une bonne partie de la gauche, le projet de loi El Khomri s’apprête à traverser une nouvelle zone de turbulences : l’Assemblée nationale entame mardi son examen et rien n’indique que le gouvernement dispose d’une majorité pour le faire adopter. Le texte porté par la ministre du Travail pourrait donc encore évoluer, après des modifications déjà très nombreuses. Mais au fait, que prévoit concrètement ce paquet de réformes ? Que devrait-il changer dans la vie des salariés ? Europe 1 passe en revue les mesures du projet de loi El Khomri.
• HEURES SUPPLÉMENTAIRES. Toute heure travaillée au-delà des 35 heures hebdomadaires continuera à être mieux payée. La majoration reste de 25% pour les huit premières heures supplémentaires, et de 50% pour les suivantes, mais une entreprise pourra négocier avec les syndicats un accord interne qui lui permet de limiter ce bonus à 10%.
Ce que cela change. Les entreprises vont avoir une plus grande marge de manœuvre. Aujourd’hui, une entreprise doit prendre en compte les accords de branche avant de négocier le bonus versé pour les heures supplémentaires : si l’accord de branche prévoit une majoration de 30%, l’entreprise ne peut donc pas descendre en dessous de ce taux. Avec la loi El Khomri, l’accord d’entreprise primera sur l’accord de branche : une entreprise pourra négocier une majoration de 10%, le minimum légal, même si l’accord de branche prévoit un bonus bien plus élevé. Une possibilité qui risque de devenir la norme puisque le rapport de force est moins favorable aux salariés au niveau de l’entreprise qu’au niveau de la branche, où les syndicats sont plus forts. Résultat, si les employeurs regretteront toujours qu’une heure supplémentaire coûte plus cher, ils pourront néanmoins réduire la facture.
• LICENCIEMENT ÉCONOMIQUE. Des critères plus précis définissent le motif économique d'un licenciement : les difficultés économiques sont caractérisées par quatre trimestres consécutifs de baisse du chiffre d'affaires ou deux trimestres consécutifs de perte d'exploitation.
Ce que cela change. Aujourd’hui, une entreprise ne peut procéder à un licenciement économique que pour deux motifs : une cessation d’activité ou une mutation technologique. Elle peut également invoquer une réorganisation nécessaire à la sauvegarde de l’entreprise, mais il faut alors prouver qu’elle est en péril. Demain, il suffira de remplir les conditions fixées par la loi El Khomri : les licenciements économiques seront donc plus faciles et moins contestables. Pour éviter que les entreprises les moins délicates ne profitent de cette opportunité, le juge des prud’hommes pourra vérifier qu’une entreprise n’organise pas artificiellement ses difficultés en France alors qu’elle se porte très bien ailleurs.
• LICENCIEMENT ABUSIF. La loi El Khomri instaure un barème qui fige dans le marbre le montant maximal d’indemnités qu’un salarié peut percevoir si les prud’hommes jugent qu’il a été licencié sans justification ou en dehors des règles. Censé être obligatoire, ce barème ne sera finalement qu’indicatif.
Ce que cela change. Aujourd'hui, les juges des prud’hommes décident du montant des indemnités au cas par cas, ce qui aboutit à des décisions très variables et inquiète les employeurs poursuivis. La loi El Khomri veut mettre fin à cette imprévisibilité avec un barème censé avoir deux conséquences : permettre d’accélérer les jugements - qui sont particulièrement longs en France - et offrir une plus grande visibilité aux employeurs. Mais face à la bronca des syndicats, le barème ne sera finalement qu’un indicatif : le juge pourra le suivre mais il n’y sera pas obligé. Au final, cette réforme ne change pas grand-chose, ni pour l’employeur, ni pour l’employé, le barème permettant seulement de se faire une idée des montants en jeu.
• RÉFÉRENDUM D'ENTREPRISE. En cas de blocage pour adopter un accord d’entreprise, les syndicats représentant au moins 30% des salariés pourront demander l’organisation d’un référendum. Le vote des salariés, à la majorité des suffrages exprimés, primera sur la décision des syndicats. Pour l’instant, ces référendums ne pourraient porter que sur certains dossiers (durée du travail, des repos et des congés).
Ce que cela change. Actuellement, pour qu'un accord soit valide, il doit recueillir soit la signature de syndicats ayant obtenu au moins 50% des voix aux élections professionnelles, soit la signature de syndicats représentant 30% des salariés mais à condition que les syndicats majoritaires ne s'y opposent pas. Un syndicat ayant obtenu plus de 50% des voix peut donc bloquer un texte, même si la majorité des salariés y est favorable. Avec ce référendum, une entreprise pourra donc contourner le ou les syndicats majoritaire(s), à condition de s’appuyer sur un syndicat pesant au moins 30% des suffrages. C’est d’ailleurs la stratégie qu’avait choisie la direction de l’usine Smart d’Hambach, en Moselle, pour revenir sur les 35 heures malgré l’opposition de la CGT et de la CFDT. Le vote qui y avait été organisé, qui n’a aujourd’hui aucune valeur, s’imposerait alors à tous.
• ACCORD DE DÉVELOPPEMENT DE L'EMPLOI. C’est une nouveauté qui n’existe pas aujourd’hui dans le droit du travail : donner la possibilité à une entreprise de conclure un "accord de développement de l’emploi". Une entreprise pourra conclure un accord pour moduler temps de travail et rémunération des salariés afin de partir à la conquête de nouveaux marchés. Cet accord pourra durer jusqu’à deux ans.
Ce que cela change. Aujourd’hui, il est déjà possible de réduire le salaire des employés ou de les faire travailler plus pour un salaire inchangé, mais seulement dans les entreprises qui vont mal : il s’agit des accords de maintien dans l’emploi, qui sont dits "défensifs" car conçus pour éviter les licenciements. Avec la loi El Khomri, de tels accords pourront devenir "offensifs" : les salariés pourront être moins payés ou travailler davantage si c’est pour décrocher un nouveau contrat. Les syndicats devront donner leur accord, mais si un salarié refuse la modification de son contrat de travail en vertu de cet accord collectif, il pourra être licencié non pas pour motif économique mais pour "cause réelle et sérieuse". Et donc dans des conditions bien moins avantageuses qu’aujourd’hui.
• COMPTE PERSONNEL D’ACTIVITÉ. Visant à "protéger les actifs" et présenté par François Hollande comme la grande réforme sociale du quinquennat, le compte personnel d'activité (CPA) est ouvert à toute personne âgée d'au moins 16 ans, occupant un emploi ou à la recherche d'un emploi. Il est constitué du compte personnel de formation (CPF), du compte personnel de prévention de la pénibilité et d’un futur compte d’engagement citoyen, dans lequel les heures de formation récompensent bénévolat et volontariat.
Ce que cela va changer. C’est l’une des rares mesures de la loi El Khomri qui avantage le salarié et embarrasse l’employeur. Le CPA devrait faciliter la vie des employés, notamment ceux qui changent fréquemment d’employeurs : ils n’auront plus à multiplier les démarches pour obtenir un décompte de leurs droits à la formation et des tâches pénibles qu’ils ont effectués dans leur carrière. Obtenir une formation pour améliorer sa qualification ou changer d’orientation serait aussi plus aisé. C’est en revanche une tâche administrative supplémentaire pour les employeurs. Les parlementaires pourraient également y ajouter un quatrième chapitre, le compte épargne-temps : un compteur permettant de mettre de côté des jours de congés ou des RTT non pris pendant l'année. Ce stock de jours serait transférable d'une entreprise à une autre.
• GARANTIE JEUNES. Alors qu’il s’agissait d’une expérimentation testée depuis 2013, la garantie jeunes sera finalement généralisée par la loi El Khomri : le gouvernement a voulu faire une geste envers la jeunesse. Offrant une dernière chance à ceux qui ont décroché des études ou du monde du travail, la garantie jeune est l’autre mesure favorable aux travailleurs, les plus jeunes en l’occurrence.
Ce que cela change. Les jeunes sans compétence ni expérience professionnelle entament leur carrière dans les pires conditions, avec un risque de chômage bien plus élevé que la moyenne et une mobilité professionnelle très limitée. La garantie jeunes fait donc le pari suivant : consacrer des moyens financiers pour offrir à ces jeunes une séance de rattrapage plutôt que les laisser s’enfermer dans la précarité et les longues périodes de chômage qui, au final, coûtent plus cher à la collectivité. Concrètement, les 18-25 ans ayant peu de moyens pourront bénéficier d’un suivi régulier et se verront proposer une formation, un stage, voire un emploi. Le temps de leur accompagnement, les bénéficiaires pourront recevoir une aide de 461 euros par mois.