Après trois mois sans pilote, Air France-KLM va retrouver un commandant. Le conseil d'administration de la société franco-néerlandaise a décidé jeudi de confier les manettes des cinq compagnies du groupe (Air France, KLM, Transavia, HOP! et Joon) à Benjamin Smith, actuel numéro deux d'Air Canada, qui prendra ses fonctions "au plus tard le 30 septembre 2018", selon un communiqué de la compagnie. Il sera directeur général de la holding regroupant toutes les compagnies. Une révolution à double titre pour la compagnie. Jamais elle n’avait été dirigée par un patron non français, et les fonctions de directeur général d’Air France-KLM et de président d’Air France seront désormais séparées.
Un connaisseur de l'aérien...
Après l'épisode Philippe Capron, actuel directeur financier de Veolia, dont la candidature au poste de PDG du groupe aérien avait été torpillée par les syndicats en juin dernier, le conseil d'administration a choisi un bon connaisseur du monde de l'aérien. Et son profil a de quoi séduire. Âgé de 46 ans, l'actuel directeur des opérations d'Air Canada a passé près de 20 ans dans la compagnie aérienne. En 1990, il entre chez Air Ontario en tant qu'agent commercial. Il quitte la compagnie au bout de trois ans pour créer sa propre agence de voyage, qu'il dirige durant huit ans. En 2002, il reprend son vol chez Air Canada en tant que directeur de Tango, compagnie low-cost lancé un an plus tôt.
Lors de l'arrêt de l'activité de Tango en 2004, Air Canada récupère une partie des recettes qui ont fait le succès de la filiale et notamment le tarif le plus agressif en cabine "Economy". Ben Smith, comme on l’appelle habituellement, entre au conseil d'administration de la compagnie canadienne en 2007. C'est lui qui, au début des années 2010, décide de lancer Air Canada Rouge, filiale à bas coût d'Air Canada. Un peu plus de cinq ans après son lancement, la petite sœur d'Air Canada opère 50 appareils, notamment sur les vols long-courriers.
Depuis sa nomination en tant que directeur des opérations d'Air Canada, il supervise aussi bien les opérations aériennes, que les services commerciaux, le marketing et la finance. Son arrivée chez Air France-KLM marquera malgré tout pour lui l’entrée dans la catégorie supérieure. Le groupe franco-néerlandais dispose en effet de 545 avions et 80.000 salariés, contre 384 avions et 30.000 salariés pour Air Canada.
... qui a signé des accords avec les syndicats
D'après sa biographie officielle sur le site d'Air Canada, l'un des faits d'arme de Benjamin Smith a été de signer des accords "historiques" avec les syndicats qui prévoient notamment le règlement des différends par "arbitrage" ou "médiation". "Il a été le responsable des négociations avec les syndicats de pilotes et de PNC pour le lancement d'Air Canada Rouge et a réussi à obtenir des accords valables dix ans avec les deux organisations", indique le texte. Un bon point alors que les personnels d'Air France attendent ce nouveau patron pour reprendre les négociations sur leurs augmentations de salaires. Et particulièrement les pilotes qui menacent déjà de quinze jours de grève en septembre. Ce sont ces négociations qui ont coûté son poste à Jean-Marc Janaillac.
"Ti Ben", comme il est surnommé en raison de sa petite taille, a beau avoir négocié des accords avec les syndicats, il est peu habitué des grèves qui se sont multipliées chez Air France depuis le début de l'année et qui pourraient aussi s'ouvrir chez KLM, dont les pilotes on fait part de nouvelles revendications en début de semaine. Celui qui se décrit comme "aviation-geek", du nom de ces passionnés d’aéronautique connectés, peut déjà s'attendre à un accueil frais de la part des syndicats. Dans un communiqué publié quelques heures avant l'officialisation de sa nomination, l'intersyndicale avait jugé "inconcevable que la compagnie Air France tombe dans les mains d'un dirigeant étranger". Anglophone, Benjamin Smith peut, malgré ses progrès à faire pour parler la langue de Molière, se targuer de très bien la comprendre.
Une rémunération triplée
Pour le convaincre de rejoindre le groupe, le conseil d'administration a accepté de tripler sa rémunération. Alors que le PDG d'Air France-KLM touchait jusqu'à présent au maximum un million d'euros par an, part variable comprise, le transfuge d'Air Canada gagnera de 3 à 3,25 millions d'euros s'il atteint tous ses objectifs. Une hausse importante pour le groupe, mais de seulement 20% par rapport à ce qu'il gagnait chez Air Canada, d'après les chiffres de Bloomberg.
Cette revalorisation ne choque d'ailleurs pas forcément les syndicats. "De toute évidence, les grands dirigeants des compagnies aériennes européennes sont beaucoup mieux rémunérés que l’habitude était à Air France jusqu'à présent, donc je ne vais pas être choqué par cela, mais il faut l'appliquer à tout le monde", explique à Europe 1 Philippe Evain, patron du SNPL, le premier syndicat de pilote d'Air France. Reste que cet argument devrait être largement utilisé lors des négociations sur les augmentations du personnel.
Benjamin Smith a déjà du travail pour redresser l'avion à la dérive bleu blanc rouge. Outre les négociations avec les organisations syndicales, il devra rapidement décider quel cap donner aux différentes compagnies du groupe. Faut-il de nouveau augmenter la taille de la flotte de Transavia France, la compagnie à bas prix, qui atteindra bientôt son plafond (33 avions actuellement pour 40 maximum selon l’accord signé en 2014) ? Faut-il développer une compagnie long-courrier à bas prix sur le modèle de ce que fait British Airways avec Level, qui propose des vols transatlantiques à 129 euros aller-simple ? Enfin, il devra lancer l'appel d'offres géant qui doit permettre de passer les commandes nécessaires au renouvellement des flottes d’Air France, KLM, HOP! et Transavia et qui était initialement prévu pour… le premier semestre 2018.