La rencontre sera feutrée mais pas forcément amicale. 24 heures après avoir confirmé son intention de racheter Bouygues Telecom, le patron de SFR-Numéricable a rendez-vous mardi au ministère de l’Economie. Mais Patrick Drahi le sait, sa rencontre avec Emmanuel Macron sera tendue : le gouvernement n’est pas favorable à la fusion entre les deuxième et quatrième opérateurs télécoms.
Des déclarations qui donnent le ton. Les négociations à peine officialisées, le gouvernement n’a pas tardé à réagir par la voix d’Emmanuel Macron. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que l’enthousiasme n’était pas au rendez-vous. "La consolidation n'est pas aujourd'hui souhaitable pour le secteur. L'emploi, l'investissement et le meilleur service aux consommateurs sont les priorités. Or, les conséquences d'une consolidation sont à ces égards négatives, comme l'ont prouvé les cas récents en Europe", a prévenu le ministre de l’Economie. Et pour éviter toute ambiguïté, Michel Sapin lui a emboîté le pas dès lundi, estimant que ce rachat pourrait être celui de trop pour Altice, la maison-mère de Numéricable-SFR : "il faut faire attention à ne pas fonder un empire sur le sable de l'endettement", a prévenu le ministre des Finances sur RFI.
Un tir de barrage complété quelques heures plus tard par le Premier ministre. Manuel Valls a alors posé cinq conditions à un rapprochement entre les deux opérateurs télécoms. "Toute opération qui ne répondrait pas à ces enjeux majeurs ne peut pas avoir le soutien du gouvernement", a-t-il prévenu, citant l'emploi, l'investissement, la vente des fréquences, l'innovation et la qualité de service.
L’emploi, première source d’inquiétude du gouvernement. Si le gouvernement n’est pas emballé par ce rachat, c’est d’abord à cause de l’emploi. La fusion entre SFR et Bouygues se traduirait forcément par des doublons au sein de la future entreprise, ce qui pourrait aboutir à une réorganisation synonyme de suppressions d’emplois. Et la réputation de "costkiller" qui précède Patrice Drahi n’arrange rien. Pas idéal, alors que la courbe du chômage est l’une des principales préoccupations du gouvernement.
Une hausse des tarifs redoutée. Les employés de SFR-Numericable et de Bouygues pourraient ne pas être les seuls à payer le prix de ce rachat : les consommateurs ont également de quoi être inquiets. En effet, jusqu’en 2012 les tarifs de la téléphonie mobile en France étaient parmi les plus élevés en Europe. L’irruption de Free a mis fin à cette ère, le nouvel arrivant provoquant une guerre des prix inédite qui a forcé ses concurrents à abaisser eux aussi leurs tarifs.
Mais cette page pourrait se refermer avec la fusion entre Bouygues et SFR-Numericable : le paysage des télécoms repasserait de quatre à trois opérateurs, ce qui amoindrirait la concurrence. Et pourrait conduire à une remontée des prix, ce que n’ont pas manqué de souligner les associations de consommateurs. "A trois opérateurs, on avait des tarifs élevés et une entente entre opérateurs. On a milité pour une quatrième licence, ça a donné 13 milliards d'euros de pouvoir d'achat supplémentaires aux consommateurs depuis l'arrivée de Free", a déclaré à l'AFP Cédric Musso, directeur de l'action politique à l'UFC-Que Choisir.
La crainte d’un ralentissement des investissements. 3G, 4G, 4G+, fibre, etc. : parce que la technologie évolue rapidement, les opérateurs se doivent de mettre à niveau leurs infrastructures. Sauf que les fusions entre opérateurs ont tendance à ralentir cette modernisation. "Lors du rachat de SFR par Altice, le secteur est entré dans une forme d'attentisme, le temps que l'intégration se fasse, qui a entraîné une réduction des investissements de 300 millions d'euros en 2014. Dans le cas du rachat de Bouygues Telecom, l'intégration prendra nécessairement plus de temps", explique-t-on au ministère de l'Economie.
… et d’un manque à gagner pour l’Etat. Mais l’attention portée par le gouvernement à la qualité du réseau n’est pas totalement désintéressée. En effet, l’annonce du rachat de Bouygues Telecom est tombée juste après l’appel d’offre du gouvernement pour acquérir de nouvelles fréquences hertziennes. Or, si les acheteurs potentiels ne sont plus que trois, et non quatre, les enchères pour obtenir ces fréquences seront moins disputées et l’Etat pourrait bien récupérer moins d’argent qu’espéré, en l’occurrence 2,5 milliards d’euros.
D’autant plus que l’opérateur télécom le plus intéressé par ces fréquences, Free Telecom, pourrait ne plus en avoir autant besoin : en effet, pour respecter les règles de concurrence, SFR-Numericable pourrait être obligé de revendre une partie des infrastructures de Bouygues Telecom. Free Telecom pourrait donc acheter à prix moindres des antennes-relais qui rendraient moins indispensable l’achat de nouvelles fréquences.
Toutes ces questions devraient animer la rencontre entre Patrick Drahi et Emmanuel Macron, à condition que Bouygues Telecom accepte l’offre de rachat qui lui a été faite. On devrait en savoir plus à l’issue du conseil d’administration de Bouygues Telecom, qui se réunit mardi à 18 heures.