Le bras de fer commence. Pour sa première "vraie" semaine, le gouvernement s’attèle d’emblée à la réforme du travail, projet phare du programme présidentiel d’Emmanuel Macron. Le chef de l’État compte faire passer ses mesures par ordonnances, donc en se passant partiellement du Parlement, durant l’été. Une méthode qui inquiète grandement les syndicats. Pour désamorcer une éventuelle crise sociale, Emmanuel Macron discute mardi avec les partenaires sociaux. Le Premier ministre Édouard Philippe et la ministre du Travail Muriel Pénicaud organiseront également des rencontres bilatérales, à une date ultérieure.
Opération déminage. Emmanuel Macron a forcément en tête le spectre de la loi El Khomri, âprement contestée dans la rue pendant des mois avant d’être adoptée par la voie du 49-3. Un scénario que le président aura à cœur de ne pas voir se répéter afin de ne pas entamer son mandat sur de mauvaises bases. Les échanges avec les partenaires sociaux ressemblent donc à une opération déminage. Il s’agit pour le gouvernement de donner des garanties à la fois aux syndicats, pas franchement ravis de voir arriver une "nouvelle loi Travail", et au patronat, qui le presse de libérer encore plus l’économie. Emmanuel Macron abordera autant la forme que le fond de cette réforme, encore floue (voir encadré).
La CGT se prépare à l’opposition. Avant cette rencontre, chacun affute ses arguments. Sur Europe 1, Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, a montré ses réticences à l’égard de cette réforme. "On ne peut pas évoquer d'une part le dialogue et dire de l'autre qu'on veut aller vite, en plus pendant les vacances. C'est quand même un peu fort de café de discuter d'un texte aussi essentiel pendant que les salariés sont en vacances. La méthode n'est pas bonne", estime le syndicaliste.
Ce ne sont pas tant les ordonnances qui le gênent – "Si le gouvernement veut agir par ordonnances pour mettre le smic à 1.800 euros, il n'y a pas de problème. On signe tout de suite !" – que le fond de la réforme : "Pour l'instant, on a les déclarations du président pendant sa campagne. Il n'y a pas de texte mais sur les intentions – aller plus loin que la loi El Khomri, nous sommes évidemment opposés puisque nous l'avons combattue l'année dernière".
Réforme du Travail pendant les vacances : "La...par Europe1fr
Méthode contestée. Jean-Claude Mailly, de Force ouvrière, a également prévenu Emmanuel Macron lundi. "S’il passe en force, il y aura un effet boomerang". Il se dit tout de même "prêt à discuter", à condition qu’il existe de véritables "marges de manœuvre". Même la CFDT, plus progressiste, monte au créneau. "Passer à la hussarde ne marchera pas" et serait "contre-productif", a critiqué Laurent Berger. En plus de la CGT, FO et la CFDT, la CFE-CGC et la CFTC seront également reçus par le gouvernement.
Les patrons veulent aller vite. De l’autre côté, le patronat fait également valoir ses exigences. "L'un des grands blocages de l'économie française, c'est la peur d'embaucher", martelait la semaine dernière Pierre Gattaz, le président du Medef, pressant l'exécutif de mettre en œuvre "trois mesures rapides", dont le plafonnement des indemnités prud'homales. "Le débat a assez duré", a affirmé lundi Thibault Lanxade, vice-président de l’organisation patronale. "Il faut aller vite parce que les entreprises attendent." En plus du Medef, la CPME et l’U2P seront également reçus mardi par Emmanuel Macron.
"Une discussion indispensable". Interrogé par le Journal du dimanche, le Premier ministre Édouard Philippe a donné son point de vue sur le déroulé de ces réunions à venir. "La réforme du code du travail a été bien pensée. Nous allons désormais la discuter pour l'enrichir et l'expliquer. Cela veut dire une discussion avec les organisations syndicales, qui est indispensable, et une discussion parlementaire qui aura lieu à l'occasion du vote de la loi d'habilitation qui permettra au gouvernement de prendre des ordonnances dans le cadre défini par le Parlement", a indiqué le chef du gouvernement, avant de conclure : "Mais une fois que la discussion aura eu lieu, il faudra aller vite. On ne peut pas attendre deux ans pour achever cet exercice".
Risque de mobilisation. L’été du gouvernement dépend grandement de la bonne tenue des discussions à l’Élysée puis à Matignon. Si Emmanuel Macron et ses ministres parviennent à convaincre les syndicats et à obtenir un consensus, cela diminue le risque de voir la rue se dresser contre eux pendant les vacances. Autrement, il faudra prévoir une nouvelle confrontation. "On va aller à la rencontre des salariés début juin, mais il y a un très fort mécontentement dans le pays, ce qui s'est passé l'année dernière reste dans toutes les têtes", prévient Philippe Martinez. "Si le gouvernement veut passer en force ou ne prend pas en compte un certain nombre de propositions que l'on a mis sur la table, évidemment il y aura de la colère et peut être aussi des mobilisations".
Quatre grands axes de réforme
L’inversement de la hiérarchie des normes, qui donne la primauté aux accords majoritaires d’entreprise, avait été le principal point de crispation autour de la loi El Khomri. Pour l’instant limité au temps de travail, ce principe serait cette fois élargi à d’autres questions comme les salaires, les heures supplémentaires ou les conditions de travail. En revanche, la durée légale du travail ne serait pas concernée et toujours régie par le Code du travail.
Référendum d’entreprise. Le projet d’Emmanuel Macron prévoit également de réduire le rôle des syndicats, notamment par le biais des référendums d’entreprise. Si un accord n’est signé que par les syndicats minoritaires (représentant entre 30 et 50% des salariés), la direction pourrait organiser une consultation directe des employés, jusqu’ici réservée aux syndicats. En cas de validation par cette voie, l’accord serait appliqué.
Toujours sur le plan institutionnel, la réforme envisage de fusionner les différentes instances représentatives du personnel (comité d’entreprise, CHSCT, délégués) en une seule, la "délégation unique du personnel" (DUP), et ce quelle que soit la taille de l’entreprise.
Bataille sur les indemnités prud’homales. Enfin, et non des moindres, le plafonnement des indemnités prud'homales en cas de licenciement "sans cause réelle, ni sérieuse" est un vrai point de blocage pour les syndicats, y compris pour la CFDT. La mesure permettrait aux entreprises d’anticiper les indemnités à payer en justice en cas de licenciement abusif et pourrait réduire le montant actuellement prévu par la loi. Ce que les syndicats considèrent comme un recul social.