Il a réussi la prouesse de séduire les salariés, la direction actuelle de l'entreprise, le gouvernement et, in fine, la justice. Le groupe British Steel s'est vu confier jeudi par le tribunal de grande instance de Strasbourg la reprise de l'aciérie Ascoval de Saint-Saulve, dans le Nord.
L'acquisition de cette usine, dont la cession a été fixée au 15 mai, permet à British Steel d'asseoir un peu plus son statut de sidérurgiste européen et confirme l'attrait des Britanniques pour une industrie métallurgique française quelque peu délaissée. Elle intervient, en effet, quelques mois seulement après la reprise de la fonderie de Dunkerque par le groupe Liberty house. Derrière British Steel, qui fête à peine ses trois ans d'existence, se cache aussi une volonté : celle de maintenir une industrie de l’acier sur un Vieux Continent devant faire face aux assauts étrangers. Mais le groupe en a-t-il les capacités ?
British Steel mise sur l’Europe…
British Steel a été créé par le fonds d'investissement Greybull Capital, fondé en 2008, à Londres, par les frères français Marc et Nathaniel Meyohas. Ce fonds d'investissement, qui se définit comme "familial", a racheté, au printemps 2016, la division européenne de l'entreprise britannique Tata Steel, acteur majeur des aciers spéciaux, spécialisé notamment dans la contstruction de rails. Greybull Capital baptise alors la nouvelle entité "British Steel". Un symbole fort, puisqu'il s'agit du nom que portait la société nationale de la sidérurgie britannique, privatisée à la fin des années 1980 sous Margaret Thatcher.
Avec ce rachat, le nouveau groupe devient ainsi propriétaire des usines de Tata Steel de Scunthorpe, dans le nord de l'Angleterre, mais aussi de celle de Hayange, en Moselle (près de 5.000 salariés au total). En 2017, il acquiert également le groupe néerlandais Steel et ses 300 salariés. Avec la reprise d'Ascoval, Greybull confirme ainsi sa volonté de miser sur la sidérurgie européenne malgré l'afflux dans cette zone géographique de masses d'acier à prix cassé importé de Chine et alors que les repreneurs de sites en difficulté ne se bousculent pas. Le groupe se concentre sur la niche des produits longs, dont la demande est forte notamment dans le secteur ferroviaire et de la construction. La SNCF et Network Rail, le propriétaire du réseau britannique, sont parmi ses clients les plus importants.
… Et l’aciérie de Saint-Saulve peut l’aider
Avec la reprise d'Ascoval, British Steel sauve l'emploi des 270 salariés de l'aciérie qui attendaient un repreneur depuis la liquidation judiciaire en février 2018 du groupe Asco Industries. Mais il ne s’agit pas là d’un acte de philanthropie et British Steel entend bien un retour rapide sur les 50 millions d’euros qu’il compte investir à Saint-Saulve. Stratégiquement, l’aciérie française est intéressante à plus d’un titre pour le groupe britannique.
Cette reprise permet au groupe de se diversifier géographiquement, alors que la grande majorité de ses activités sont aujourd’hui cantonnées à l’Angleterre. Elle lui permettra aussi de posséder une usine qui tourne à l’électricité, alors que ses hauts-fourneaux outre-Manche tournent au charbon, une énergie dont les coûts risquent d’augmenter dans les années à venir. Mais l’aciérie française lui servira, surtout, à éviter les frais de douanes ou de change et les démarches administratives liés à un éventuel Bréxit pour fournir ses clients continentaux.
De précédentes reprises au succès mitigé
En plus de cela, Saint-Saulve se porte bien : avec un savoir-faire bien identifié, un carnet de commandes rempli et un outil industriel rénové en 2014, il ne lui manquait plus que des investissements pour assurer sa survie. "Cette entreprise n’est pas moribonde. Elle a l’assurance de continuer une activité pérenne si on lui en donne les moyens", confirme dans L’Opinion Michel Ghetti, du cabinet FIE, spécialisé dans les reprises d’entreprises et les sauvegardes d’emplois. "British Steel a aujourd'hui des moyens. L'acquisition d'Ascoval lui permettra de résoudre les problèmes liés au Brexit", poursuit un autre expert cité par Les Echos.
Reste une question : British Steel saura-t-il piloter sa nouvelle usine dans la bonne direction ? Pour l’heure, la plupart des reprises conduites par Greybull Capital ont été conduites avec succès, à l’instar de la société Arc Specialist Engeniering, acquise en 2013 et revendue à prix d’or en 2017. Mais le fonds d’investissement n’a pas que des réussites à son actif : les reprises des magasins d'électroménager Comet et de la compagnie aérienne Monarch Airlines se sont, elles, terminées par des dépôts de bilan.