"Que se passe-t-il chez Ubisoft ?" La question agite l'industrie du jeu vidéo alors que le géant français vacille en Bourse et fait face à une nouvelle grève à partir de mardi, sur fond de rumeurs de rachat. Plusieurs syndicats appellent ce mardi les salariés à une grève de trois jours, la deuxième cette année, alors que le géant français du jeu vidéo traverse une passe difficile avec des ventes en berne et le report d'un jeu majeur, sur fond de rumeurs de rachat de l'entreprise.
Pourtant, l'éditeur de franchises comme "Assassin's Creed" et "Just Dance" a connu une période faste à la fin des années 2000 puis au tournant des années 2020, rivalisant avec les géants américains et japonais.
Ne pas rater son coup sur le nouvel opus d'"Assassin's Creed"
Mais en quelques années, son cours de Bourse s'est effondré jusqu'à atteindre en septembre son plus bas niveau en 10 ans. "Ubisoft souffre d'un enchaînement de sorties qui n'atteignent pas le succès escompté", estime Oscar Lemaire, du site spécialisé Ludostrie, citant notamment le jeu de pirates "Skull and Bones" et le nouvel épisode de "Prince of Persia". Fin septembre, le fondateur et PDG d'Ubisoft, Yves Guillemot, a admis que les premières ventes de "Star Wars Outlaws", sorti fin août, étaient "plus faibles que prévu", forçant Ubisoft à revoir à la baisse ses objectifs financiers.
Et la sortie du prochain épisode de sa série la plus populaire, "Assassin's Creed", a été repoussée de trois mois pour permettre aux équipes de le peaufiner. "Ils savent qu'ils ne peuvent pas rater leur coup", anticipe Oscar Lemaire. Un nouvel échec serait désastreux pour Ubisoft.
Une formule "vieillotte"
Si sa formule de jeu "en monde ouvert" - où le joueur peut explorer à sa guise un univers virtuel - faisait autorité dans les années 2010, "elle commence à être un peu vieillotte", souligne le créateur de Ludostrie. "Ce qui freine Ubisoft, c'est son manque d'adaptation à l'évolution de l'industrie", renchérit Martin Szumski, analyste financier chez Morningstar.
Depuis le succès de jeux en ligne comme "Fortnite", qui génèrent d'importants revenus chaque mois grâce à du contenu vendu dans le jeu, tous les gros éditeurs essayent de copier cette recette dite de "jeu service". Ubisoft a fait ce pari en mai avec le jeu de tir "XDefiant" mais le titre n'a pas répondu aux "attentes", selon Yves Guillemot. En ratant ce coche, Martin Szumski estime qu'Ubisoft se retrouve "en retard par rapport au reste de l'industrie".
Un équilibre social précaire
Avec près de 45 studios en France et à l'étranger (Canada, Italie, Chine...) et environ 19.000 employés, Ubisoft est l'une des plus grandes entreprises du secteur. Mais elle n'a pas été imperméable à la crise que traverse l'industrie du jeu vidéo depuis deux ans. Annoncé en janvier 2023, son plan de réduction des coûts s'est traduit par le départ de 1.700 personnes en 18 mois. En France, où Ubisoft emploie 4.000 personnes, la grogne monte autour des conditions de travail et des salaires.
Après un premier mouvement de grève qui a mobilisé près de 700 personnes en février - l'un des plus importants dans le secteur -, plusieurs syndicats appellent à un débrayage de trois jours à partir de mardi pour protester contre la décision d'imposer au moins trois jours par semaine de travail en présentiel. "Nous examinons actuellement comment affiner (notre modèle) pour mieux équilibrer les avantages du travail à distance et au bureau", a indiqué Ubisoft après une rencontre avec les syndicats mardi dernier.
Vers un rachat du studio ?
Le 4 octobre, l'agence Bloomberg faisait état d'un potentiel rachat d'Ubisoft par le géant chinois de la tech Tencent et la famille Guillemot, actionnaire principal du groupe, pour le sortir de la Bourse. Ubisoft "examine régulièrement toutes ses options stratégiques" et "informera le marché en temps voulu, si nécessaire", a réagi l'entreprise. Tencent, avec qui les frères Guillemot ont scellé une union en 2022 pour garder la main sur l'entreprise, détient près de 10% du capital - seuil qu'il n'a pas le droit de franchir avant 2030, selon l'accord -, tandis que la famille Guillemot en possède autour de 14%.
"Si un rachat a lieu, Tencent va probablement faire pression pour avoir plus de contrôle qu'auparavant", juge Martin Szumski, "même si la famille Guillemot veut conserver autant que possible la gestion de l'entreprise". "Tencent est très fort sur le marché chinois, surtout dans le domaine des jeux mobiles et les 'free-to-play' (jeux gratuits)", explique Oscar Lemaire. Un rachat lui permettrait de mettre un pied dans le marché occidental et les jeux à gros budgets dont Ubisoft est spécialiste.
Sortir de la Bourse ne serait pas nécessairement négatif pour Ubisoft, "pour mettre en oeuvre sa stratégie sans être constamment surveillé par les marchés", affirme Michael Hodel, analyste pour Morningstar. "A court terme, c'est un moyen pour les Guillemot d'être tranquilles. Mais ça laisse une épée de Damoclès au-dessus de leur tête", conclut Oscar Lemaire.