Faut-il supprimer des Intercités, ces trains à vitesse moyenne qui quadrillent la France ? La question est clairement posée dans un rapport remis mardi au Premier ministre. La commission d'élus et experts auteurs du rapport, présidée par le député (PS) Philippe Duron, dresse un constat sévère de la gestion du réseau. Et préconise de supprimer de nombreux tronçons de lignes. Mesure salvatrice pour le réseau ou entrave au service public ? La question fait polémique.
Les découpages prévus par le rapport. Les Intercités ou "Trains d'équilibre du territoire (TET)", selon l'appellation officielle (c'est-à-dire les ex-Corail et Téoz), circulent de jour comme de nuit au niveau national. Situés entre le TGV et le TER (ceux qui ne circulent qu'au sein d'une même région), les 325 Intercités desservent quotidiennement plus de 300 destinations en France sur plus de 40 lignes, selon la SNCF.
La commission préconise de supprimer les Intercités sur cinq tronçons de lignes, sur lesquelles il existe également des dessertes TGV ou TER : Toulouse-Cerbère, Quimper-Nantes, Bordeaux-Toulouse, Marseille-Nice et Saint-Quentin-Cambrai. Les lignes Toulouse-Hendaye et Clermont-Ferrand-Béziers devraient également être transférées sur des autocars. Les TER conserveraient alors les liaisons de courte distance, tandis que les déplacements directs entre grandes agglomérations se feraient sur route.
Le rapport préconise également de ne conserver que quatre lignes de trains Intercités de nuit : celles entre Paris et Briançon, Rodez, Toulouse et Latour-de-Carol, estimant les autres trop coûteuses et pouvant être substituées par des TGV, des avions ou des autocars.
Un réseau en déperdition… L'une des explications principales à ce coup de rabot, c'est l'état du réseau Intercités. En février dernier, la Cour des comptes en appelait déjà à "un recentrage des trains", de manière à dégager des financements pour assurer "une nouvelle qualité de services".
Pour la commission auteure du rapport, très sévère envers la gestion de la SNCF, il s'agit même d'une "urgence". "Il y a un problème de sécurité et d'attractivité commerciale. Les trains ont en moyenne plus de 35 ans (33,5 ans selon la Cour des comptes ndlr), on ne peut pas attendre", assène Philippe Duron, président de la commission. "Quand vous voyez qu'un train Intercités, pour faire Bordeaux-Lyon, met plus de six heures, là où une compagnie aérienne low-cost met une heure, ça n'a pas de pertinence", renchérit le député.
… Qui n'attire plus grand monde. Deuxième explication aux suppressions de tronçons : la rentabilité. Aujourd'hui, le modèle des Intercités ne tient plus. Ils attirent chaque jour environ 100.000 utilisateurs… soit un taux de remplissage moyen estimé à 35%, contre 70% pour le TGV par exemple. Avec de grands écarts selon les régions. "Le taux de remplissage oscille ainsi entre plus de 60 % sur quelques lignes, et moins de 30 % sur certaines lignes", écrivait la Cour des comptes en février, et de citer les lignes Caen-Le Mans-Tours, Bordeaux-Lyon, Hirson-Charleville-Mézières ou encore Reims-Dijon. "Pour deux lignes (Hirson/CharlevilleMézières et Reims/Dijon), les taux de remplissage sont même tellement bas qu’ils ne sont pas évalués", notaient les Sages de la rue Cambon.
Résultat, le déficit annuel d'exploitation des Intercités atteindrait entre 300 et 400 millions d'euros selon les estimations, soit 30 à 40% du chiffre d'affaires total. Le rapport présenté mardi insiste donc sur une "nécessaire approche économique et financière viable". Remplacer une partie des lignes par des cars, par exemple, permettrait de faire de lourdes économies : le coût d'exploitation d'un trajet en car est estimé à quatre euros le kilomètre, contre quarante pour un train, selon France 2.
L'usager, le grand perdant ? Mais si la suppression de lignes permettra de faire des économies à la SNCF, certains redoutent toutefois que les usagers soient les grands perdants. Car les usagers en ont besoin, de leurs Intercités. "Il y a une clientèle pour les Intercités. Il n'y a pas que des hommes d'affaires qui prennent le TGV et des travailleurs qui voyagent en TER/RER. Il y a aussi des voyageurs intermédiaires, qui sont les grands oubliés", déplore ainsi Alain Bazot, président de l'UFC-Que choisir, contacté par Europe 1. "La méthode de la SNCF est lamentable. Elle a laissé le réseau se dégrader, ce qui a fait fuir les clients. Et ça lui permet de prétexter des fermetures de lignes", peste-t-il.
"Les Intercités sont importants, ils permettent une desserte fine et confortable que les autres transports ne permettent pas", renchérit auprès d'Europe 1 Fabrice Michel, porte-parole de la fédération nationale des usagers de train. Ce dernier ne se dit pas opposé à l'alternative autocars, mais seulement pour quelques lignes "très peu peuplées". Car les Intercités disposent d'atouts que les autres non pas : "Ils vous transportent ville par ville, de différentes régions, y compris dans des villes moyennes, ils vous déposent directement en centre-ville, pour moins cher que le TGV et avec un confort que vous ne retrouvez pas dans les bus", plaide-t-il ainsi.
Ouverture à une concurrence qui tirerait les services vers le haut pour attirer la clientèle, réflexion nationale sur la complémentarité des modes de transports… Pour les associations, les alternatives existent pour garder un service de transport national efficace et confortable, sans découper trop radicalement les lignes.
Duflot sur les trains Intercités: "il devient très difficile de faire préférer le train" #QAGhttp://t.co/aFcqMoZXg3pic.twitter.com/vnlNfNX3bZ
— Le Lab (@leLab_E1) 26 Mai 2015
Et l'écologie alors ? Au-delà du service aux usagers, certains s'inquiètent également du bilan écologique d'un effacement du train, surtout s'il se fait au profit de l'autocar. Une fermeture de ligne serait "un très mauvais signal, au moment où on va faire la Conférence climatique en France, où l'on dit qu'il faut passer des déplacements automobiles vers les transports collectifs", déplore ainsi le député écologiste Denis Baupin, interrogé sur France Info. "On m'expliquera comment on peut répondre au défi climatique sans aller vers des transports écologiquement intéressants", a également raillé le numéro un du PCF Pierre Laurent sur Sud Radio. Charge à Manuel Valls, qui a reçu le rapport mardi, de faire les bons aiguillages.