Les grévistes de la SNCF avaient promis une "journée sans cheminots" lundi. Si le personnel de la compagnie n’a pas strictement appliqué le mot d’ordre, la mobilisation a pris un coup de fouet avec 28% de salariés en grève, dont trois conducteurs et contrôleurs sur quatre. Un mois et demi après le début du mouvement de contestation contre la réforme ferroviaire, les syndicats veulent croire à un rebond, coordonné avec la tenue d’une "vot’action", consultation interne des salariés sur le projet de loi.
Hausse de la mobilisation. La "journée sans cheminots" de lundi est "la démonstration du rejet massif de cette réforme", veut croire Laurent Brun, secrétaire général de la CGT-cheminots, invité d’Europe 1 lundi matin. Les chiffres sont en tout cas parlants : plus d’un quart des personnels de la SNCF ont cessé le travail pour cette journée à mi-chemin du calendrier décidé par l’intersyndicale. Les salariés indispensables à la circulation des trains ont notamment durci le mouvement : 74% des conducteurs et contrôleurs et 37% des aiguilleurs ont débrayé.
Un rebond bienvenu pour les syndicats au moment où la mobilisation s’essouffle. Les chiffres des dernières séquences de grève ne sont pas franchement en faveur des cheminots : le taux de grévistes est passé de 34% le 3 avril, premier jour de débrayage, à 14% le 9 mai. Le taux de personnels indispensables à la circulation a baissé aussi mais avoisine toujours les 30%. Les conducteurs de trains sont particulièrement impliqués dans la grève avec un taux de participation qui n’est jamais tombé sous les 50%. Mêmes chiffres chez les contrôleurs dont la mobilisation tourne encore autour de 45-50%.
Érosion et fissure. La chute de la mobilisation est devenue un angle d’attaque pour les usagers irrités, forçant ainsi les cheminots à justifier la continuité du mouvement. "Dans une semaine particulière avec deux jours de grève fériés, les cheminots aussi profitent de cette période pour prendre des congés", soulignait sur Europe 1 Roger Dillenseger, secrétaire général de l’UNSA ferroviaire, pour expliquer l’érosion du taux de gréviste la semaine du 7 mai, marquée par deux ponts. Mais si la mobilisation baisse, c’est aussi parce que la grève, qui en est à son 18ème jour, commence à peser. "On sait très bien qu'il y a un certain nombre de cheminots qui, à cause de contraintes financières, ont été obligés de faire un peu moins grève", reconnaît Laurent Brun.
Par ailleurs, l’unité syndicale affichée en début de mouvement commence à se fissurer. Deux fronts se distinguent désormais clairement au sein des grévistes. D’un côté, la CGT, SUD Rail et Force ouvrière continuent de s’opposer farouchement à la réforme ferroviaire et critiquent l’absence de débat possible avec le gouvernement. De l’autre, la CFDT et l’Unsa ont accepté la main tendue par Édouard Philippe et Élisabeth Borne. Les deux syndicats se sont entretenus avec la ministre des Transports vendredi pour proposer, à eux deux, quelque 70 amendements au projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale et en route pour le Sénat.
Mobiliser les troupes. D’où le besoin pour les syndicats de la ligne dure de remettre une pièce dans la machine avec la "journée sans cheminots" et la "vot’action". Lundi, dans les grandes gares, des assemblées générales et des réunions de sections syndicales étaient organisées pour permettre aux cheminots de voter, pour ou contre la réforme ferroviaire. A la gare de Lyon, à Paris, le vote est plutôt artisanal : sous un porche à peine abrité de la pluie, un syndicaliste tient une urne pendant qu’un autre surveille le registre. "Ce n’est pas un vrai référendum, c’est surtout symbolique", reconnaît une gréviste au milieu d’Europe 1.
Guillaume Pépy a d’ores et déjà prévenu : le vote n’aura "aucune" légitimité. Peu importe pour les organisations syndicales, l’objectif est d’abord de (re)mobiliser les troupes pour faire vivre le mouvement. "Même si les cheminots sont étranglés financièrement, ils ne veulent pas que cette réforme passe", assure Laurent Brun, soucieux de traduire cette opposition moins visible dans les urnes. "On veut intervenir au même niveau que notre direction qui ne porte pas le désir des salariés et nous sommes persuadés que le 'non' va l'emporter", estime-t-il. Reste à savoir si le rebond observé lundi suffira à porter une grève qui doit aller jusqu’au 28 juin, voire plus tard.