Véritable serpent de mer fiscal, la taxe sur les géants du numérique se concrétisera-t-elle un jour ? L’échec momentané de l’Union européenne sur ce point, obligeant la France à faire cavalier seul, permettait d’en douter. Mais l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a rallumé la flamme des partisans de la "taxe Gafa" (acronyme pour désigner les géants du we : Google, Amazon, Facebook, Apple…) en annonçant mardi un accord multilatéral pour trouver "une solution de long terme fondée sur le consensus d'ici 2020". Ce projet, qui n’en est encore qu’à l’état d’ébauche, doit répondre au défi mondial de la numérisation de l’économie et à la demande de l’opinion publique d’une justice fiscale.
Un pas en avant significatif. L’OCDE, qui compte 36 membres (principalement des pays développés), a obtenu l’engagement de 127 États à travailler pour résoudre la problématique de la taxation des multinationales, notamment dans le secteur du numérique. Après sept ans de paralysie sur ce sujet au sein de l’organisation, "la communauté internationale a fait un pas significatif vers la résolution des défis fiscaux soulevés par la numérisation de l'économie", s'est félicité Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscale de l’OCDE.
Ce pas en avant a pu être effectué grâce à l’approbation des États-Unis. "Ils bloquaient depuis 2012 toute initiative" a expliqué à l'AFP un spécialiste des dossiers fiscaux. "Mais ils ont fini par bouger", a-t-il ajouté, sous l'impulsion d'un Donald Trump beaucoup moins conciliant avec la Silicon Valley. D’autres acteurs d’ordinaires peu favorables à une taxation des grandes entreprises d’Internet ont également signifié récemment leur soutien au projet de l’OCDE. Ainsi va de la vice-présidente de Google Ruth Porat. "En ce qui concerne les questions de taxation, nous sommes très francs : nous soutenons l'initiative de l'OCDE", a-t-elle expliqué à Davos. L’Irlande, qui séduit les géants américains avec son taux d’imposition très bas, a également approuvé l’initiative de l’organisation.
La France pousse de son côté. Cette annonce intervient alors que l’Union européenne a revu à la baisse les ambitions de son projet de taxation des Gafa (seuls les revenus publicitaires devraient être concernés, pas les ventes, la valeur des données, etc.). Porté par la France, il s'est heurté à l'opposition de l'Irlande, de la Suède et du Danemark. L'Allemagne ne voyait pas non plus cette taxe d'un très bon œil, par crainte de mesures de rétorsion américaines contre son industrie automobile. Résultat, la France fait désormais cavalier seul. Bruno Le Maire, qui s’est réjoui de l’étape supplémentaire franchie par l’OCDE, doit présenter "d’ici à la fin février" un "projet de loi spécifique" pour taxer, dès cette année, les géants du numérique présents en France.
Tout le monde n’a pas la même approche. L’accord de principe obtenu par l’OCDE est encourageant mais n’est pas pour autant synonyme de succès futur. Des divergences d’approche subsistent entre les pays. Ainsi, le Royaume-Uni souhaite que la taxe soit circonscrite aux entreprises du numérique et appliquée à la valeur tirée des données. Une piste écartée par… l’OCDE, dans un rapport publié en 2018. "L’ampleur de cette transformation explique que toute initiative destinée à isoler l’économie numérique du reste de l’activité se révèle complexe, voire impossible", notait l’organisation.
De leur côté, les États-Unis de Donald Trump veulent aller plus loin et taxer l’ensemble des multinationales non plus uniquement dans les pays où elles ont des sièges sociaux mais partout où elles commercialisent leurs biens et services. Une approche qui concernerait évidemment les Gafa mais également d’autres grandes sociétés telles que Starbucks, présente dans le monde entier mais connue pour sa capacité à esquiver l’impôt, en France par exemple.
Vers un accord appliqué en 2020 ? D’autres pays, tels que la France et l’Allemagne, sont partisans d’instaurer en parallèle un impôt mondial minimum sur les entreprises, sorte de garde-fou qui garantirait un certain niveau de taxation partout dans le monde. Cette idée doit être évoquée dans le cadre des débats de l’OCDE et du G7, présidé cette année par la France.
Le chemin est encore long avant de voir une taxe mondiale sur les grandes entreprises du numérique. Mais la machine est lancée. "Je pense que les conditions existent pour poser dès cette année les bases d'un accord qui pourrait ainsi être approuvé et entrer en vigueur en 2020. C'est possible", estime le secrétaire général de l’OCDE Angel Gurria. Des avancées concrètes pourraient être formulées lors du G7 2019, organisé fin août à Biarritz.